La semaine dernière a été très chargée pour les observateurs du marché : prévisions de croissance économique révisées, surprises de la part des banques régionales, douche froide de la Réserve fédérale américaine concernant une éventuelle baisse des taux en mars et excellent rapport sur l’emploi aux États-Unis, pour ne citer que quelques manchettes. Voici, selon moi, les principaux éléments à retenir de la semaine et les raisons pour lesquelles ils sont importants.
Nette amélioration des prévisions de croissance économique pour 2024
Le FMI a rendu publique sa mise à jour des Perspectives de l'économie mondiale dans laquelle elle apporte quelques modifications à ses prévisions d'octobre.1
- Économie mondiale. Il a révisé à la hausse ses prévisions de croissance mondiale pour 2024, qui sont passées de 2,9 à 3,1 %, en grande partie parce que l’économie américaine a été plus résiliente et que des mesures de relance ont été adoptées par la Chine. Le FMI a admis que la probabilité d’un atterrissage brutal a diminué et noté la possibilité que la désinflation soit plus rapide que prévu.
- États-Unis. La croissance aux États-Unis pour 2024 a été révisée à la hausse, passant de 1,5 à 2,1 %. Cela dénote encore un ralentissement de la croissance par rapport à 2023, ce à quoi nous nous attendions car l’impact des hausses de taux passées continue de ralentir l’économie.
- Zone euro et Royaume-Uni. La croissance dans la zone euro pour 2024 a été révisée à la baisse, soit à 0,9 au lieu de 1,2 %, mais il s’agirait tout de même d’une amélioration par rapport au taux de 0,5 % estimé en 2023. Le FMI s’attend à ce que la croissance au Royaume-Uni en 2024 soit encore plus faible, à 0,6 %.
- Japon. La croissance au Japon pour 2024 a elle aussi été revue à la baisse, de 1,0 à 0,9 %, ce qui est nettement inférieur à la croissance de 1,9 % estimée pour 2023, mais reste supérieur au potentiel.
- Marchés émergents. La croissance dans les marchés émergents a été revue à la hausse, soit de 4 à 4,1 %. Une région particulièrement intéressante est l’Asie émergente et en développement, où la croissance pour 2024 a été revue à la hausse, passant de 4,8 à 5,2 %. Cette évolution peut être attribuée à l’amélioration des perspectives de la Chine. Sa croissance pour 2024 a été révisée à la hausse, passant de 4,2 à 4,6 %, ce qui reflète le « report » d’une croissance plus forte que prévu en 2023 et l’augmentation des dépenses publiques.
Les inquiétudes des banques régionales américaines ont surpris les investisseurs
La semaine dernière, la New York Community Bank a surpris les marchés dans sa déclaration de bénéfices en annonçant la réduction de son dividende en raison de certains prêts immobiliers commerciaux en difficulté et parce qu’elle va devoir augmenter ses réserves. Les marchés ont été ébranlés par cette nouvelle, qui a fait craindre que la mini-crise des banques régionales de l’année dernière ne soit pas terminée, ce qui a fait chuter l’indice KBW des banques régionales de plus de 7 % la semaine dernière.2
Or, ce problème semble somme toute contenu, plutôt que contagieux. La New York Community Bank est assez unique en raison de sa forte exposition aux prêts immobiliers commerciaux et de son faible coefficient de réserves immobilières commerciales. Il importe aussi de noter que la facilité de crédit créée l’année dernière, qui a joué un rôle essentiel dans la stabilisation de la mini-crise des banques régionales, est toujours en place et à la disposition des banques qui peuvent l’utiliser en cas de besoin.
La Réserve fédérale américaine (Fed) a calmé les attentes d'une baisse de taux en mars
Le Federal Open Market Committee (FOMC) s’est réuni la semaine dernière et a décidé de laisser son taux de référence inchangé entre 5,25 et 5,50 %, ce qui constitue une quatrième pause consécutive. Les marchés étaient prêts à entendre parler d’une baisse de taux en mars, compte tenu des données encourageantes sur l’inflation et des nouvelles concernant les problèmes de la New York Community Bank, mais ont été déçus parce que le président de la Fed, Jay Powell, a jeté une douche froide sur ceux et celles qui étaient persuadés que la Fed procéderait à une première baisse de taux en mars.
Personnellement, j’ai vu la conférence de presse d’un bon œil. Comme je l’ai écrit la semaine dernière, ce n’est pas grave si la Fed ne baisse pas ses taux en mars; il n’y a pas une grande différence entre le 20 mars et le 1er mai. Il ne s’agit pas de savoir quand les baisses de taux commenceront, mais bien quelle sera l’ampleur des baisses en 2024, et je m’attends à ce qu’elles soient plus fortes que ce que la Fed prévoyait en décembre.
Je crois qu’il est également important de noter que M. Powell a admis un changement dans la façon de penser de la Fed. Il y a un an, la Fed se disait qu'il faudrait une détérioration des statistiques économiques pour que l'inflation diminue suffisamment. Mais aujourd'hui, elle se sent à l'aise avec la vigueur de l'économie et ne croit pas qu’elle doive nécessairement s'affaiblir pour que l'inflation puisse être maîtrisée. Voici quelques autres éléments à retenir :
- M. Powell a admis qu'un ralentissement inattendu du marché du travail pourrait devancer les baisses de taux. Mais il a maintenu un ton ferme en ajoutant qu'une inflation plus persistante retarderait les baisses de taux.
- La réduction du bilan de la Fed s’est très bien déroulée jusqu’à présent selon les dires de M. Powell, qui prévoit amorcer des discussions approfondies sur le bilan en mars.
- M. Powell a ajouté que la Fed pourrait à la fois procéder à des baisses de taux et apporter des modifications au plan de réduction du bilan au cours de la même réunion. Il considère qu’il s’agit de deux outils distincts, ce qui est une bonne nouvelle. Plus la Fed dispose d’une grande marge de manœuvre, mieux c’est.
Après la réunion de la Fed, M. Powell a été interviewé à l’émission de télévision « 60 Minutes », où il a réitéré et étoffé les propos qu’il avait tenus à la conférence de presse du FOMC. Il a de nouveau insisté sur le fait qu’il est peu probable qu’on assiste à une baisse de taux en mars, expliquant qu’il n’a pas besoin de meilleures données, mais simplement de plus de données : « Ce n’est pas que les données ne sont pas assez bonnes, c’est que nous disposons de seulement six mois de données. Nous voulons simplement voir plus de bonnes données en ce sens. Il n’est pas nécessaire qu’elles soient meilleures que les données antérieures, ni même qu’elles soient aussi bonnes. Il suffit qu’elles soient bonnes et c’est ce à quoi nous nous attendons ».3
L'emploi aux États-Unis a bondi en janvier
Le rapport sur la situation de l’emploi aux États-Unis est, en deux mots, exceptionnellement bon. Un nombre impressionnant de 353 000 emplois non agricoles ont été créés en janvier, ce qui est nettement supérieur aux estimations consensuelles.4 En outre, le nombre d’emplois non agricoles en décembre a été révisé à la hausse, passant de 216 000 à 333 000. Le taux de chômage est resté inchangé à 3,7 %.
Je me concentre sur les salaires horaires moyens et l’impact qu’ils pourraient avoir sur l’inflation. Je dois admettre que les données de janvier étaient trop élevées à mon goût, augmentant de 0,6 % sur un mois et de 4,5 % sur un an.4 Je suis optimiste et crois qu’il s’agit là d’une anomalie, peut-être due à une semaine de travail moyenne étonnamment plus courte. Selon moi, les prochains rapports sur l’emploi devraient faire état d’une croissance des salaires plus modérée et plus conforme à l’indice du coût de l’emploi publié la semaine dernière, qui fait état d’une croissance plus modeste de la rémunération globale.
La Banque d'Angleterre supprime son préjugé favorable à une hausse des taux d'intérêt
La Banque d’Angleterre, la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne ont laissé leurs taux d'intérêt inchangés à leurs réunions de la semaine dernière. Elle a aussi supprimé son préjugé favorable à une hausse des taux d’intérêt. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a expliqué la décision de la Banque comme suit : « Pour moi, la question n’est plus de savoir à quel point nous devons maintenir une politique restrictive, mais bien pendant combien de temps nous allons devoir la maintenir ».5
La réponse à cette question pourrait être « pas très longtemps », si l’on se fie à la mise à jour des prévisions de croissance et d’inflation de la Banque d’Angleterre. Elle a révisé ses prévisions concernant l’indice des prix à la consommation du Royaume-Uni pour 2024 de 3,25 à 2,75 % et celles pour 2025 de 2,5 à 2,0 %.6 Il est important de noter que les prévisions précédentes ont été rendues publiques seulement en novembre.
La saison des bénéfices se poursuit avec des résultats contradictoires
Certaines grandes entreprises technologiques ont dévoilé leurs résultats la semaine dernière, lesquels sont généralement très bons, à quelques exceptions près. L’intelligence artificielle demeure un thème dominant pour certaines d’entre elles, mais les bénéfices enregistrés en Europe sont plus décevants jusqu’à présent (ce qui n’est pas étonnant compte tenu de la conjoncture qui rend la croissance difficile; l’Europe traverse une période difficile.)
Le pessimisme a provoqué un repli des marchés boursiers chinois
Je m’en voudrais de ne pas mentionner que les marchés boursiers chinois se sont repliés la semaine dernière. Ils se situent donc à l’extrémité inférieure de leur fourchette d’évaluation historique. Il va sans dire que les titres sont survendus; on dirait que les investisseurs font fi de toutes les bonnes nouvelles, y compris la croissance économique plus forte que prévu l’année dernière et l’amélioration récente des indices PMI.
À notre avis, les évaluations sont rarement de bons indicateurs de rendement à court terme; il faut un catalyseur pour que les cours boursiers augmentent. Et ce catalyseur, à mon avis, sera le soutien politique. Les organismes de réglementation de Beijing se sont déjà engagés, en fin de semaine dernière, à prendre des mesures supplémentaires pour soutenir les marchés de capitaux.
Les marchés obligataires nous font vivre des émotions fortes
Les taux obligataires ont beaucoup fluctué la semaine dernière. En début de semaine, le Trésor américain a agréablement surpris les marchés en abaissant son estimation du volume d’émissions de titres du Trésor pour le trimestre en cours; il prévoit désormais contracter un emprunt net de 760 milliards de dollars pour la période de janvier à mars, comparativement à plus de 800 milliards de dollars selon les estimations précédentes.7 Comme l’offre sera probablement moins abondante, les cours obligataires se sont redressés. Le taux des bons du Trésor américain à 10 ans a chuté à 3,86 % jeudi, puis a clôturé au-dessus de la barre de 4 % vendredi, à la suite du dévoilement du rapport sur l’emploi plus favorable que prévu.8
Enfin, les actions continuent de subir les contrecoups des taux obligataires. Je m’attends à ce que la situation perdure, puisque la volatilité accrue des actions découle de la forte volatilité des obligations, elle-même alimentée par l’incertitude entourant la politique monétaire de la Fed.
La prochaine semaine
La prochaine semaine sera probablement plus calme, car on attend moins de publications de données importantes et d’événements susceptibles d’influencer les marchés. Voici ce qu'il y a au programme :