J’aime trouver un moyen de travailler plus efficacement ou, mieux encore, de demander à quelqu’un de faire le travail à ma place. Moins j’ai à faire, mieux c’est. Je crois que la Réserve fédérale américaine (Fed) est du même avis. Après tout, lorsqu’elle resserre les conditions financières et, par le fait même, cherche à ralentir l’économie, la Fed se fie sur le taux des bons du Trésor américain à 10 ans pour faire le travail à sa place. Rien que ces derniers jours, le taux des bons du Trésor américain à 10 ans est passé de 4,59 % le 13 octobre à 5 % le 23 octobre.1
À mon avis, quand quelqu’un se fait un plaisir de faire votre travail à votre place, c’est une bonne chose. J’ai déjà mentionné que mon fils aîné préférait faire le ménage avec sa grand-mère plutôt que de jouer avec des jouets lorsqu’il était tout petit. Mon mari n’était pas très à l’aise avec cela, mais j’ai tout de suite vu les bons côtés. Quel mal y a-t-il à ce qu’il nettoie la vitre de la porte patio (du moins la partie inférieure qu’il peut atteindre) et qu’il mette de l’ordre dans la salle de jeux?
On dirait que la Fed aussi a trouvé une « aide », en l’occurrence la hausse du taux des bons du Trésor américain à 10 ans (et une aide un peu plus efficace qu’un enfant de trois ans armé de Windex et d’essuie-tout). Plusieurs membres de la Fed l’ont affirmé ces derniers jours et même le président du conseil, Jay Powell, a admis la semaine dernière que « les conditions financières se sont considérablement resserrées ces derniers mois et les taux obligataires à plus long terme ont joué un rôle important dans ce resserrement ».2
Pourquoi les taux des obligations à long terme augmentent-ils?
Ce ne sont pas les raisons qui manquent. Le taux des bons du Trésor américain à 10 ans est composé de deux éléments : 1) il est influencé par les taux à court terme (ce qui est assez évident) et 2) il tient compte d’une « prime d’échéance » que les investisseurs exigent pour conserver une obligation aussi longtemps. Cette prime tient compte de tout ce qui pourrait se produire pendant la durée de vie de l’obligation, y compris les attentes en matière de croissance et d’inflation. Récemment, les anticipations d’inflation sont demeurées relativement stables. Nous devons donc nous tourner vers d’autres facteurs pour expliquer la hausse des taux à long terme :
- Les attentes de la Fed. D’abord et avant tout, les marchés croient que la Fed va laisser les taux plus élevés pendant un certain temps encore. Le catalyseur qui a déclenché la plus récente hausse des taux (relativement parlant) a été la publication des « dot plots » de septembre, qui laissaient entendre que les taux pourraient baisser de 50 points de base en 2024 (tout un écart par rapport aux baisses de 100 points de base prévues dans les « dot plots » de juin).3 Cette publication a rendu les investisseurs plus sensibles aux données économiques positives. Les agréables surprises, telles que les données sur les ventes au détail aux États-Unis publiées la semaine dernière, ont contribué à faire grimper le taux des bons du Trésor américain à 10 ans.
- L’offre et la demande. Mais ce n’est pas tout. Comme pour tout actif, l’offre et la demande déterminent le prix, et le déséquilibre s’est creusé. Du côté de l’offre, davantage de bons du Trésor ont été émis par suite du relèvement du plafond de la dette au début de l’été dernier. Du côté de la demande, on observe une diminution de la demande de la part des investisseurs étrangers en raison de la détérioration des relations avec les États-Unis. L’endettement croissant des États-Unis et leur dépendance accrue aux dépenses déficitaires suscitent également de vives inquiétudes. (Il y a plusieurs décennies, alors que j’étais au collège, le stratège chevronné Ed Yardeni a inventé le terme « justiciers obligataires » pour décrire ceux qui évitaient d’acheter des bons du Trésor américain en guise de punition pour les dépenses inconsidérées du Trésor américain). Cet élément y fait peut-être aussi pour beaucoup dans le calcul plutôt nébuleux de la prime d’échéance.
La demande de « valeurs « refuges » a aussi un impact sur les taux des bons du Trésor
Évidemment, il y a une force compensatoire qui peut faire baisser les taux et qui a eu un impact pendant au moins quelques jours depuis le début du conflit au Moyen-Orient : le penchant pour les catégories d’actifs perçues comme des « valeurs refuges ». Certains craignent que la crise soit contagieuse et s’étende à d’autres pays, ce qui a provoqué un mouvement vers les bons du Trésor pendant plusieurs jours depuis le début du conflit. Bien que le penchant pour l’or en tant que valeur refuge ait été beaucoup plus marqué, les préférences peuvent changer, d’autant plus que le coût de renonciation lié au fait de posséder de l’or est plus élevé à mesure que les taux augmentent.4
Un taux de rendement élevé à 10 ans, est-ce bon ou mauvais?
La hausse des taux à 10 ans est sans doute une bonne nouvelle, car cela signifie que la Fed n’a plus besoin de relever ses taux, ce qui, à mon avis, accélère la fin du cycle de resserrement. Autrement dit, elle arrache le pansement. En revanche, elle exerce une pression à la baisse sur les cours boursiers. Et quand je parle à des clients de l’extérieur des États-Unis, je constate qu’ils s’inquiètent de l’impact qu’aura sur les consommateurs américains la hausse des taux hypothécaires liée au taux des bons du Trésor américain à 10 ans.
Bien que la moyenne nationale des taux hypothécaires fixes à 30 ans aux États-Unis vienne d’atteindre 8 %5, du jamais vu depuis de nombreuses années, je doute que cela ait un impact significatif sur les ménages américains. En effet, plus de 90 % des hypothèques aux États-Unis sont des hypothèques à taux fixe à long terme dont le taux moyen est inférieur à 4 %, si bien que la hausse des taux n’aura pas sur les ménages américains l’impact qu’elle a eu sur les ménages d’autres pays qui n’ont pas l’immense privilège de bénéficier d’hypothèques à taux fixe à long terme.6 Elle n’aura pas non plus l’impact qu’elle a eu sur les ménages américains avant la crise financière mondiale, alors que près de 40 % des hypothèques étaient à taux variable.6 En fait, les prêts immobiliers résidentiels en souffrance ont diminué depuis le milieu de 2020.
Le plus gros impact des taux hypothécaires élevés sera peut-être un faible stock de maisons à vendre, car de nombreux propriétaires ne sont pas disposés à mettre leur maison sur le marché alors que les taux sont aussi élevés. Cette conjoncture fait de leurs maisons des « prisons dorées ».
À quoi peut-on s’attendre? Tout va dépendre de la Fed.
Je crois que l’incertitude à l’égard de la politique monétaire va créer une conjoncture dans laquelle les taux à 10 ans vont continuer à évoluer dans une large fourchette dans un proche avenir. Mais, selon moi, une fois que la Fed aura clairement indiqué que le cycle de hausse des taux est terminé, les taux vont commencer à s’assouplir. (Bref, je crois que les taux à long terme ne resteront pas très élevés encore longtemps).
Je m’attends à ce que la politique monétaire se clarifie au cours des prochains mois. C’était très significatif lorsque le président du conseil de la Fed, Jay Powell, a admis, la semaine dernière, que « les indicateurs de croissance des salaires montrent un déclin progressif vers des seuils compatibles avec une inflation à long terme de 2 % ».7 Or, la croissance des salaires est habituellement le facteur qui contribue le plus à la persistance de l’inflation, ce qui signifie que la Fed est satisfaite des progrès réalisés sur le marché du travail; voilà une raison de plus pour ne pas relever à nouveau les taux d’intérêt.
Bien que la Fed continue de tenir un discours ferme à court terme (et Dieu sait que le ton du discours de M. Powell la semaine dernière était très dur), je crois qu’elle reconnaîtra rapidement les signes des effets décalés de la politique monétaire sur l’économie, car j’anticipe un ralentissement très réel (un atterrissage en dents de scie). La Fed, qui se fie énormément aux données, devrait bientôt se rendre compte qu’il n’est pas nécessaire de procéder à d’autres hausses de taux et qu’il faudra peut-être même procéder à au moins une baisse de taux d’ici la fin de la première moitié de 2024. À mon avis, la hausse des prix du pétrole va refroidir l’ardeur des consommateurs américains et faire une partie du travail de la Fed.
Qu’est-ce que cela signifie pour les marchés boursiers?
Les actions américaines sont susceptibles de subir des pressions à court terme, car le taux des bons du Trésor à 10 ans reste élevé et pourrait même augmenter légèrement. La semaine dernière, l’indice S&P 500 a chuté de plus de 2 %, tombant à 4 224 points, son plus bas niveau depuis le 1er juin.8 Mais il faut mettre tout cela en perspective : il est bien en deçà de son sommet de 4 796 points atteint le 3 janvier 2022, mais nettement au-dessus de son plus bas niveau, soit 3 577 points, atteint le 12 octobre 2022.8 À mon avis, cela nous indique que la récession qui avait été anticipée l’an dernier, au cours de laquelle l’indice S&P 500 allait chuter d’environ 25 %8, est en voie d’être remplacée par un ralentissement, caractérisé par une chute plus modérée de l’indice S&P 500 cette année.
Au risque de me répéter, je dirais que cette conjoncture nous rappelle l’importance d’une bonne diversification, non seulement parmi les actions et les titres à revenu fixe, mais aussi parmi les produits alternatifs.
Dates à surveiller
Après l’avalanche de données publiées la semaine dernière, j’attends surtout de voir ce que le Federal Open Market Committee va décider de faire à sa réunion du 1er novembre. Je vous invite à vous joindre à moi sur X, autrefois Twitter, pour connaître mon point de vue en temps réel sur la décision de la Fed et les principaux éléments à retenir de la conférence de presse de M. Powell au fur et à mesure qu’elle va se dérouler.
D’ici là, il y a quelques points de données et événements importants à surveiller :