Les disruptions, la volatilité boursière et l’évolution sur le long terme de la demande sur le marché européen de l’immobilier créent des opportunités uniques et alimentent l’intérêt des investisseurs institutionnels. Kevin Grundy, Managing Director, Fund Management, Europe, Invesco Real Estate, nous parle des conditions de marché dans la région et des segments de marché qui pourraient se révéler les plus rentables pour les investisseurs en quête de valeur ajoutée et de stratégies opportunistes.
Q : Quelles sont les grandes tendances qui animent le marché européen de l’immobilier ?
R : On a pu observer un découplage majeur entre deux cycles différents : le cycle traditionnel du marché de l’immobilier, lié aux fondamentaux, qui résiste bien, et le cycle des marchés de capitaux, qui dicte les prix et qui est mû par le manque de liquidité et par la hausse brutale des taux d'intérêt. Cela a entraîné une forte correction des prix, et les investisseurs capables de faire abstraction du bruit de marché pourraient bien acquérir des actifs immobiliers exceptionnels à des valorisations séduisantes.
Q : Où se trouvent les opportunités les plus intéressantes dans la région ?
R : Nous avons identifié trois grands thèmes pour les investisseurs opportunistes. Premièrement, nous avons observé une réévaluation générationnelle des prix des actifs immobiliers suite à la remontée des taux d'intérêt. C’est un facteur important qu’il conviendra de surveiller dans les six à neuf prochains mois, car les acteurs de marché essaient d’établir un nouvel équilibre en fonction de l’évolution des taux.
Le deuxième thème est la capacité à fournir des solutions de structuration flexible sur l’ensemble de la structure de financement. Avoir du capital dans un marché en pénurie de capital est un outil puissant. C’est encore mieux si l’on peut proposer des solutions de financement innovantes et flexibles. Les investisseurs opérant sur le marché européen de l'immobilier, particulièrement à la peine, et actifs sur l’ensemble de la structure de financement peuvent acquérir des actifs immobiliers fondamentalement rentables et affichant le meilleur profil de rendement ajusté au risque possible.
En effet, une opportunité sur ce segment a vu le jour récemment lorsque le marché traditionnel de la dette mezzanine s’est largement tari en Europe. Les investisseurs qui cherchent des rendements élevés ont historiquement réalisé de bonnes performances en assumant la totalité du risque pour un actif commercial à valeur ajoutée. Cependant, ils auraient pu obtenir un taux de rentabilité interne opportuniste et une plus-value similaires, ainsi que des multiples de valorisation satisfaisants, en optant pour une position mezzanine couverte. Cette position aurait un ratio d'endettement (appelé « loan-to-value » ou « LTV » en anglais) compris entre 50 % et 75 %, garantie par un actif immobilier pleinement performant. Cette fenêtre est d’ores et déjà en train de se refermer, mais nous nous attendons à ce que d’autres fenêtres s’ouvrent.
La troisième tendance porteuse est celle des investissements dans les actifs immobiliers rénovés en vue d’une meilleure efficacité énergétique (« brown-to-green » en anglais). Indépendamment du secteur ou de la stratégie, les investisseurs qui n’investissent pas de manière dynamique dans le développement durable en Europe passent à côté d'un basculement majeur du marché, qui transcende les cycles de marché traditionnels. L’Europe reste à la pointe de l’ESG, et l’obsolescence forcée des actifs non durables dans les prochaines années puisera sa source non seulement chez les locataires et les investisseurs, mais également dans la réglementation. Nous avons tous entendu parler de la neutralité carbone que les entreprises et les investisseurs se sont engagés à atteindre d’ici 2050 au plus tard. La plupart des promesses s’accompagnent d'objectifs intérimaires pour 2030. Ce sera dans six ans seulement. Les décisions locatives prises aujourd’hui sont directement influencées par cet objectif 2030, et il en va de même pour les décisions d’investissement des institutions européennes. Les investisseurs d’Europe auront l’occasion d’acheter des actifs non durables à prix d’aubaine, de les rénover pour en faire des actifs durables et de les revendre. Il s’agit d’une vaste opportunité et les capitaux vont affluer de toutes parts. Les investisseurs qui en profiteront seront ceux qui pourront offrir le capital et l’expertise technique nécessaire pour réaliser cette « remise au vert ».
Q : Le volume de transactions observé au premier semestre 2023 était inférieur de 60 % à celui constaté au premier semestre 2022. Quel a été l’impact de cette contraction de l’activité sur le marché ?
R : La baisse du volume de transactions est due en grande partie à la hausse des taux d’intérêt. Certains investisseurs à l’achat ont été contraints de réduire leur exposition à l’immobilier à cause d’effets dénominateurs. D’autres ne disposent pas de nouveaux fonds à investir en raison de contraintes de portefeuille qui les obligent à réduire leur effet de levier ou à honorer des demandes de rachat de parts dans l’univers du capital variable. Cela étant, d’autres investisseurs privilégient les actifs « core » et se réjouissent de rester sur la touche en attendant que le marché trouve un nouvel équilibre. Un petit nombre d'investisseurs disposent de capitaux qu’ils sont prêts à déployer pour profiter d’une éventuelle dépréciation de certains actifs.
Côté vendeurs, les propriétaires immobiliers ne sont pas pressés à la vente par les prêteurs ou les autres parties prenantes. La plupart savent que la valeur réelle de leurs biens est supérieure à leur valeur de marché. Vendre leur bien ne ferait que prouver que la situation est plus grave que prévu, et ils se retrouveraient face à des acheteurs très agressifs, en quête de biens fortement décotés. Cela ne serait vraiment pas judicieux de leur part.
Du point de vue des acheteurs, l’avantage réside dans le fait que les taux de rendement ont augmenté dans tous les secteurs (voir Figure 1), tandis que les prix des actifs immobiliers restent intéressants. Je m’attends à ce que le marché s’ouvre davantage en 2024, avec une augmentation des volumes de transactions, dans un contexte marqué par la stabilisation des prévisions concernant les taux d'intérêt. Parallèlement, les valorisations pourraient augmenter, et ainsi mieux refléter la réalité du marché.