Plus la Réserve fédérale américaine (Fed) parle, plus les marchés s'inquiètent de la cadence du resserrement, et les tensions géopolitiques ne font qu'accentuer la pression, affirme Kristina Hooper.
Une chanson de Billy Joel des années 80 résume assez bien le climat qui régnait la semaine dernière. Elle s’intitule tout simplement « Pressure »; le rythme est plutôt frénétique et oppressant. Il crie sans cesse le mot « Pressure » et ça semble être le refrain de la chanson. Bref, je ne vous suggère pas d'écouter cette chanson pour méditer ou simplement décompresser. Inutile de dire que j’ai eu cette chanson dans la tête toute la semaine dernière.
Pressions inflationnistes
La semaine dernière, nous avons finalement pu prendre connaissance de l’indice des prix à la consommation (IPC) américain pour janvier. Les prévisions faisaient état d’une hausse de l’IPC global sur douze mois de 7,3 %, mais il a dépassé les attentes et atteint 7,5 %.1 Comme je le disais la semaine dernière, je crois que les marchés auraient pu tolérer un taux d’inflation qui commence par un 7, pourvu qu’il soit conforme aux attentes. Cependant, le taux de janvier a dépassé les attentes et fait chuter les actions américaines avant l’ouverture des marchés. Des manchettes comme : « le pire taux d’inflation en 40 ans » n’ont pas aidé.
Peu de temps après la chute initiale des marchés, les actions ont fait preuve d’une résilience surprenante, faisant fi des données sur l’inflation et rebondissant quelques minutes après l’ouverture des marchés. Mais la remontée a été de courte durée, quelques heures plus tard, le « Fedspeak » a de nouveau fait dégringoler les actions et grimper le taux des bons du Trésor américain à 10 ans. Le président de la Réserve fédérale de Saint-Louis, James Bullard, a déclaré que, compte tenu de la hausse de l’inflation, la Fed devrait, selon lui, accélérer la cadence du resserrement. Il a précisé sa pensée en disant ceci : « J’aimerais que les taux aient augmenté de 100 points de base au 1er juillet.2 Ceux qui ont fait le calcul ont réalisé que, comme il n’y aura que trois réunions avant le 1er juillet, cela signifie qu’une hausse de 50 points de base devrait avoir lieu au cours du deuxième trimestre de 2022. Sans surprise, l’anticipation d’une hausse de taux de 50 points de base en mars a augmenté. Pour ajouter à l’anxiété, M. Bullard n’exclut pas une hausse de taux « d’urgence » entre les réunions régulières de la Fed. J’espérais, lorsque j’ai écrit mon blogue la semaine dernière, que personne n’aurait à « retenir son souffle », mais l’inévitable s’est produit.
Comme on pouvait s’y attendre, ce Fedspeak était trop dur à supporter pour les marchés, car les imaginations se sont déchaînées la semaine dernière concernant le resserrement de la Fed en 2022. Ainsi, les actions américaines ont chuté jeudi après-midi et les actions européennes ont suivi vendredi. Le « sentiment d’aversion pour le risque » a été alimenté par la perception que le resserrement de la Fed ne pourra pas résoudre un grand nombre de facteurs à l’origine des pressions inflationnistes, mais qu’il pourrait bien mettre fin au cycle économique.
Pressions géopolitiques
La situation n’a fait qu’empirer vendredi après-midi, heure des États-Unis, lorsque la Maison-Blanche a annoncé qu’une invasion russe de l’Ukraine semblait imminente. La plupart des tensions géopolitiques ont peu d’incidence sur les marchés au-delà d’un accès de volatilité à très court terme, mais cette fois-ci, ça pourrait être différent simplement en raison des répercussions possibles sur le prix des produits de base à un moment où l’inflation influence les interventions des banques centrales.
La sagesse populaire veut que les États-Unis et leurs alliés ne s’engageront pas dans une guerre terrestre si la Russie envahissait l’Ukraine, mais imposeraient plutôt des sanctions économiques paralysantes à la Russie, et nous souscrivons à ce scénario de référence. La bonne nouvelle est que la guerre sera probablement évitée. La mauvaise est que la Russie est un important producteur de pétrole et d’autres produits de base, ce qui signifie que les sanctions économiques vont probablement faire grimper les prix à un moment où la dernière chose dont les États-Unis et les autres pays développés ont besoin est des pressions inflationnistes accrues. L’Union européenne serait la plus directement touchée étant donné sa forte dépendance aux produits énergétiques russes, mais les prix de l’énergie augmenteraient ailleurs aussi.
En outre, la Russie et l’Ukraine sont de gros exportateurs de blé et l’Ukraine est un important exportateur de maïs (l’Ukraine a longtemps été surnommée « le grenier de l’Europe »), de sorte que les prix des denrées alimentaires risquent aussi augmenter. De plus, la Russie est le plus gros exportateur mondial de palladium, ce qui risque de perturber la chaîne d’approvisionnement automobile étant donné que le palladium entre dans la fabrication des convertisseurs catalytiques. Cela ne ferait qu’exacerber les perturbations de la chaîne d’approvisionnement automobile qui ne semblent pas vouloir s’atténuer de sitôt, si l’on se fie aux récentes indications de Toyota et Honda selon lesquelles la pénurie de semi-conducteurs dans l’industrie automobile ne semble pas sur le point de se terminer.
Il ne faut pas oublier les manifestants du « Convoi de la liberté » et le blocus à la frontière canado-américaine au pont Ambassador, qui aggrave les perturbations des chaînes d’approvisionnement et risque d’entraîner une augmentation des coûts. Même si le pont Ambassador a rouvert hier, les manifestations sont loin d’être terminées. En fait, le mouvement s’est mondialisé et s’est invité dans d’autres pays développés comme la Belgique et la France.
Bref, la conjoncture géopolitique risque d’accentuer passablement les pressions inflationnistes d’une manière que les banques centrales ne peuvent pas vraiment résoudre, mais qui pourrait causer du tort à leurs économies respectives si elles tentent d’intervenir.
La chute des cas de COVID offre une lueur d’espoir
Il y a un facteur qui pourrait atténuer bon nombre de pressions inflationnistes auxquelles est confrontée l’économie mondiale : gagner la bataille contre la COVID. À mesure que le nombre de cas d’infection diminue, les économies peuvent reprendre leur fonctionnement normal, les employés peuvent retourner au travail, les chaînes d’approvisionnement peuvent se dénouer et les dépenses peuvent se tourner vers les services et s’éloigner des biens.
L’Organisation mondiale de la santé a annoncé la semaine dernière que les cas de COVID-19 avaient chuté de 17 % dans le monde par rapport à la semaine précédente, dont une diminution de 50 % aux États-Unis.3 Comme je l’avais espéré, le variant Omicron a évincé le variant Delta, beaucoup plus dangereux. Désormais, la plupart des cas de COVID dans le monde sont causés par le variant Omicron. En Allemagne, le variant Omicron représente 92,53 % des cas de COVID, tandis qu’au Japon, il représente 95,31 % des cas. Au Brésil, aux États-Unis et au Royaume-Uni, le variant Omicron est responsable de plus de 99 % des cas.4 Je touche du bois, mais l’avenir s’annonce prometteur en ce qui concerne la COVID et je crois que cela sera beaucoup plus efficace pour lutter contre l’inflation que tout ce que les banques centrales peuvent faire.
À surveiller cette semaine
Cette semaine, nous allons suivre de près un certain nombre de communiqués liés à l’inflation et aux interventions des banques centrales :
- En ce qui concerne les banques centrales : la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, et le président de la Réserve fédérale de St. Louis, James Bullard, devraient faire une déclaration le 14 février. Nous pourrons également lire le procès-verbal de la réunion de janvier du Federal Open Market Committee, qui nous donnera une meilleure idée du raisonnement du comité.
- Pour ce qui est de l’inflation, nous allons surveiller :
o L’indice des prix à la production des États-Unis
o L’indice des prix à la consommation du Royaume-Uni
o L’indice des prix à la consommation du Canada
Nouvelle de dernière heure
Au moment où j’écrivais ce blogue aujourd’hui, nous avons reçu des données encourageantes de la Réserve fédérale de New York, à savoir le sondage sur les attentes des consommateurs. Ce sondage révèle que même si les anticipations d’inflation restent très élevées, elles semblent avoir plafonné (malgré toutes les manchettes à sensation). L’inflation médiane anticipée à un an s’établit à 5,8 % pour janvier, après un pic de 6 % en novembre et décembre.5 L’amélioration des anticipations d’inflation à trois ans est encore plus prononcée, passant à 3,5 % pour janvier, comparativement à 4,0 % en décembre (le taux anticipé sur trois ans a culminé à 4,2 % en septembre et octobre).5