La Saint-Valentin est une de mes fêtes préférées. Comment dire « non » à du chocolat, des fleurs et des bonbons agrémentés d’un tendre message? Ce qui me plaît vraiment de la Saint-Valentin, c’est qu’elle ne se limite pas à la romance; elle porte sur l’amour dans tous les sens du terme. Les écoliers donnent des cartes à leurs camarades de classe et à leurs professeurs. Les parents offrent des cadeaux à leurs enfants. (Quand j’étais petite, ma mère m’offrait toujours un cadeau pour la Saint-Valentin comme un animal en peluche ou une bougie en forme de cœur et j’ai essayé de perpétuer cette tradition avec mes enfants.) Les propriétaires d’animaux domestiques achètent des friandises spéciales pour leur animal de compagnie (oui, moi y compris). Mes amies et moi célébrons même ce qu’on appelle « Galentine’s Day » (jour des amies de filles) et on en profite pour sortir et se gâter. Je m’en voudrais de ne pas lever mon chapeau à mon mari, qui est une vraie soie et pense toujours à acheter des fleurs pour moi, notre fille et même ma mère.
Cette année en particulier, à l’occasion de la Saint-Valentin, certaines personnes méritent aussi, à mon avis, notre attention : les dirigeants des banques centrales. Après tout, en employant ce qui était alors une politique monétaire expérimentale, ils ont aidé leur pays à sortir de la crise financière mondiale. Et, en assouplissant rapidement les conditions financières au début de la pandémie de COVID, ils ont aidé à prévenir une crise financière mondiale qui aurait pu être bien pire. Mais leur travail n'est pas encore terminé. Les banquiers centraux risquent de trop resserrer leur politique monétaire ou encore de perdre le contrôle sur l’inflation.
Apparemment, Saint-Valentin était un martyr et il y a des moments où les dirigeants des banques centrales doivent se sentir eux aussi comme des martyrs. Être dirigeant d’une banque centrale est un travail vraiment difficile, car cela signifie souvent être obligé de « faire preuve de fermeté » envers les citoyens, ce qui peut vous rendre très impopulaire. C’est la raison pour laquelle je crois qu’ils méritent des lettres d’amour. Comme il n’y a pas de cartes de souhaits toutes faites pour exprimer ces sentiments, voici ce que je suggère : un mélange de remerciements et d’encouragements et quelques conseils :
Meilleurs vœux de Saint-Valentin aux dirigeants des grandes banques centrales
Cher monsieur Powell,
Je vous remercie d’avoir réitéré, la semaine dernière, l’engagement de la Réserve fédérale américaine à se fier aux données. J’espère que, comme moi, vous n’avez pas été ébranlé par le plus récent rapport sur l’emploi aux États-Unis. Je suis sûre que vous avez des inquiétudes concernant les récentes révisions à la hausse du taux d’inflation de base, mais je suis confiante que le rapport sur l’inflation de mardi sera un cadeau de la Saint-Valentin pour vous. J’espère que vous ne procéderez pas à plus de deux hausses de taux, après quoi vous ferez une pause conditionnelle ce printemps. Ce n’est pas grave si vous n’abaissez pas les taux plus tard cette année; je présume que l’économie n’en aura pas besoin. De plus, je tiens à vous féliciter car je crois que vous parviendrez à effectuer un atterrissage « relativement en douceur », ce qui, à mon avis, est un accomplissement dont vous pouvez être fier.
P.-S. : Ne vous inquiétez pas si vous voyez le fantôme de Paul Volcker dans vos rêves. Les anticipations d’inflation des consommateurs sont bien plus favorables aujourd’hui qu’elles ne l’étaient au début des années 80, ce qui vous permet d’adopter une politique monétaire beaucoup moins belliciste. L’avenir de l’économie américaine est en grande partie entre vos mains; s’il vous plaît, prenez-en bien soin.
Chère madame Lagarde,
L’économie de la zone euro a été étonnamment résiliente et vous méritez certes une part du crédit. Je vous remercie d’avoir admis, à la dernière réunion de la Banque centrale européenne, qu’il existe une symétrie plus équilibrée du risque. C’est admirable que vous soyez si vigilante à l’égard de l’inflation, mais j’espère que vous savez qu’une part substantielle de l’inflation de la zone euro est liée à l’énergie et qu’elle ne peut pas être contrôlée au moyen d’un resserrement de la politique monétaire. Continuez à marteler votre message et vous n’aurez peut-être pas besoin d’un si gros bâton; une main ferme à la barre devrait empêcher le public et les marchés de s’emballer et d’anticiper un assouplissement trop hâtif de la politique monétaire.
Cher gouverneur Bailey,
Avouons-le, la tâche du gouverneur de la Banque d’Angleterre est loin d’être facile en ce moment. Je vous remercie, même si vous avez dû faire preuve de fermeté envers les citoyens. Vous avez été l’un des dirigeants les plus francs et avez prévenu les citoyens et les marchés des temps durs qui les attendaient. Le Royaume-Uni a dû relever des défis encore plus difficiles que les autres grandes puissances économiques : rééquilibrage de la balance commerciale et investissements après le Brexit, qui a séparé le Royaume-Uni de l’Union européenne, dans le reste du monde et peut-être l’inflation la plus élevée et le plus gros casse-tête de productivité de toutes les grandes puissances économiques. Je n’ai certes pas oublié ce que vous avez fait l’été dernier lorsque le marché des gilts a commencé à s’effondrer. Merci d’avoir suspendu le resserrement quantitatif et d’avoir acheté des gilts pour éviter qu’une crise n’éclate lorsque le marché obligataire a délaissé les gilts.
Cher gouverneur Macklem,
Je vous remercie d’être à l’avant-garde des dirigeants des banques centrales des pays occidentaux développés. Je suis heureuse que vous ayez reconnu que les risques sont désormais plus équilibrés et que vous ayez décrété une pause conditionnelle à la Banque du Canada. Je crois que ce sera une décision importante et j’espère que d’autres banques centrales suivront votre exemple et tenteront de mettre fin au resserrement sans provoquer une nouvelle flambée inflationniste.
Cher gouverneur Kuroda,
Je vous remercie d’avoir été si accommodant et d’avoir amadoué l’économie japonaise afin de lui redonner son instinct animal. Je suis persuadée que vous avez perdu quelques nuits de sommeil à cause de la politique de contrôle de la courbe des taux de la Banque du Japon, mais j’admire le fait que vous ayez tenu bon. Vous avez mérité une place au panthéon des dirigeants des banques centrales. Je vous souhaite une longue et agréable retraite.
P.-S. : Si votre successeur envisage de resserrer la politique monétaire, encouragez-le à procéder lentement.
Cher gouverneur Yi,
Alors que le reste du monde était en mode resserrement, vous assouplissiez la politique monétaire de votre pays. Les mesures de relance monétaire et de relance budgétaire massives adoptées l’année dernière ont aidé l’économie chinoise à traverser la crise immobilière et une énorme vague de COVID, si bien que la Banque populaire de Chine mérite une partie du crédit pour ce qui semble être un très bon début après la réouverture de l’économie. J’espère que tout se passera bien lorsque vous voudrez amorcer un resserrement pour contenir l’accélération de l’économie chinoise.
Je vous souhaite une joyeuse Saint-Valentin
En rédigeant ces cartes, je ne m’attends pas à ouvrir le marché des « cartes de souhaits sur le thème des dirigeants des banques centrales », mais c’était néanmoins un exercice amusant. Je tiens également à exprimer mes remerciements et ma gratitude à mes lecteurs. Je vous remercie de votre fidélité et je vous souhaite une merveilleuse Saint-Valentin en compagnie de vos proches.
Rédigé en collaboration avec Arnab Das