Les négociations sur le plafond de la dette américaine retiennent de plus en plus l'attention des investisseurs à mesure que nous nous rapprochons du « jour X », date à laquelle le gouvernement américain va manquer d'argent pour s’acquitter de toutes ses obligations financières. À l’heure actuelle, le jour X est autour du 1er juin.
À la fin de la semaine dernière, les marchés boursiers sont passés de la complaisance à la ferveur entourant la situation du plafond de la dette, des informations selon lesquelles les parties se rapprochaient d'une entente ont fait grimper les cours boursiers. J'étais sceptique car il semblait y avoir un écart considérable entre la position de l'Administration Biden et celle des républicains de la Chambre des représentants.
Oui, les démocrates et les républicains avaient convenu d'une récupération des sommes réservées aux mesures de relance liées à la COVID qui n'ont pas encore été dépensées. Et oui, les démocrates avaient assoupli leur position sur les exigences de travail ouvrant droit à des avantages sociaux et se sont dits ouverts à certaines exigences. Cela, c'était la partie facile. Un immense gouffre sépare les démocrates des républicains concernant un bien plus gros enjeu, celui des réductions des dépenses discrétionnaires.
Les deux parties ont convenu de protéger la sécurité sociale et l'assurance-maladie sans réduction ni même un plafond et de se concentrer uniquement sur d'autres types de dépenses discrétionnaires. Le projet de loi des républicains, adopté en avril, réduirait les dépenses discrétionnaires au niveau de l'exercice 2022 et limiterait la croissance des dépenses futures à 1 % par an au cours des dix prochaines années.
La Maison-Blanche a proposé de maintenir les dépenses aux niveaux de l'exercice 2023 jusqu'à l'exercice 2024, mais elle souhaite que les dépenses discrétionnaires en défense soient assujetties à certaines réductions. Mon scepticisme vient de l’immense fossé dans les positions de négociation : les républicains veulent dix ans de coupures dans les dépenses discrétionnaires, tandis que les démocrates veulent le plafonnement des dépenses pendant deux ans.
Bref, je ne suis pas surprise de voir que, ces derniers jours, alors que des décisions difficiles en matière de dépenses étaient prises, les parties prenantes sont devenues plus pessimistes. C'est tout simplement plus réaliste, à mon avis. Et cela me porte à croire que les marchés seront plus turbulents dans les prochains jours.
À quoi peut-on s’attendre?
Voici trois scénarios possibles pour résoudre l’impasse sur le plafond de la dette
Compromis. Le scénario le plus probable est que les deux parties en viennent à un compromis. Cela n’arrivera probablement pas avant la dernière minute, comme ce fut le cas lors des précédentes négociations sur le plafond de la dette. Et ce ne sera pas facile. Afin de respecter l’échéancier du jour X, le chef des républicains à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a déclaré qu’un projet de loi négocié devra avoir été déposé auprès du comité des règlements de la Maison-Blanche au plus tard le mercredi 24 mai, car il faut prévoir un délai de 72 heures avant qu’un vote puisse avoir lieu. Après un vote samedi, le Sénat disposerait alors de quatre jours pour traiter le projet de loi selon les règles habituelles. Il se pourrait que le Sénat puisse traiter le projet de loi de manière accélérée, mais c’est une stratégie peu probable et moins fiable.
L’une des concessions que M. McCarthy a faites afin de gagner suffisamment de voix pour être élu chef des républicains à la Chambre des représentants a rétabli la possibilité qu’un membre, quel qu’il soit, demande un vote de « censure » à son égard. Il est peu probable qu’un tel vote renverse M. McCarthy, mais cela met un autre bâton dans les roues dans le processus de négociation, car il n’y a pas de période de réflexion après un vote sur une « motion de retrait », après quoi un autre vote peut être convoqué le lendemain et ainsi de suite. Inutile de préciser que ce serait extrêmement perturbateur.
Pétition de décharge. Un deuxième scénario possible est que les démocrates aient recours à une pétition de décharge pour relever le plafond de la dette. Cependant, ce ne signifie pas que la décision sera remise à plus tard. Une pétition de décharge est une procédure parlementaire qui consiste à retirer un projet de loi de la commission pour le soumettre à un vote sans son approbation. Cela oblige la Chambre à se prononcer sur un projet de loi même si le chef ou le comité dont il est issu s’y oppose.
Le 17 mai, les leaders démocrates de la Chambre ont déposé une pétition de décharge pour retirer un projet de loi visant une augmentation pure et simple du plafond de la dette du comité et 210 membres de la Chambre démocrate l’ont signée. Cependant, les démocrates ont besoin de 218 signatures pour forcer un vote sur le plancher de la Chambre, ce qui obligerait certains républicains à signer la pétition – et jusqu’à présent, tous les membres républicains du Congrès se sont rangés derrière leur chef, M. McCarthy. Même si les démocrates pouvaient forcer un vote, le jour X ne pourrait pas tomber avant le 12 juin, soit près de deux semaines après le jour X approximatif.
Le 14e amendement. Le troisième scénario possible est que l’Administration Biden invoque le 14e amendement, mais c’est une option qu’elle hésite à utiliser. Le 14e amendement de la Constitution américaine stipule que « la validité de la dette publique des États-Unis, autorisée par la loi… ne doit pas être remise en question », ce qui est largement interprété comme obligeant le gouvernement américain à respecter ses obligations financières.
L’idée est que la Maison-Blanche et le Trésor pourraient décider de continuer à émettre des titres de créance afin d’honorer les obligations passées, quoi qu’il advienne du plafond de la dette. Par contre, la constitution américaine attribue le pouvoir budgétaire au Congrès, non pas à l’exécutif. Ainsi, si l’Administration Biden invoque le 14e amendement pour continuer à émettre des titres de créance, sa décision fera certainement l’objet d’une contestation judiciaire de la part des républicains et les procédures pourraient s’étirer pendant des années. Apparemment, l’Administration Biden n’a pas l’intention d’avoir recours à cette méthode pour résoudre la crise de la dette, à moins que les États-Unis n’arrivent au jour X sans que le plafond de la dette n’ait été relevé.
Une autre interprétation du 14e amendement est qu’il exclut le défaut de paiement et, comme il est enchâssé dans la Constitution, il a préséance sur la loi budgétaire. Ajoutez à cela la nécessité de maintenir la stabilité financière et cela signifie que le Trésor doit donner la priorité au paiement des dettes.
Des nouvelles du monde
Pendant que le débat sur le plafond de la dette américaine a captivé les observateurs du marché, il y a eu de nombreux développements notables dans le monde :
- Canada. L’indice des prix à la consommation (IPC) du Canada pour avril était plus élevé que prévu et légèrement supérieur à celui de mars. Bien qu’il évolue dans la mauvaise direction, une partie de cette augmentation peut être attribuée aux hausses de taux de la Banque du Canada, qui ont fait grimper les taux hypothécaires et les prix des logements. Plus important encore, je persiste à croire qu’une donnée ne change pas la donne. Le Canada a amorcé une tendance désinflationniste, mais elle n’est pas parfaite et évolue en dents de scie. Je doute que cela force la Banque du Canada à mettre un terme à sa pause conditionnelle.
- Chine. Les statistiques économiques de la Chine pour le mois d’avril sont inférieures aux attentes. Par exemple, les ventes au détail ont augmenté de 18,4 % sur douze mois, ce qui est nettement en deçà du consensus.1 L’activité manufacturière a été décevante, mais cela reflète probablement le ralentissement économique mondial. Il semble que l’économie chinoise continue d’enregistrer une forte croissance de l’activité dans le secteur tertiaire mais, globalement, elle n’est pas aussi forte que prévu. Je persiste à croire que la réouverture de l’économie chinoise est loin d’avoir dit son dernier mot; il s’agit simplement d’une pause.
- Japon. Le Japon a lui aussi connu une forte inflation selon les plus récentes données de l’IPC. La bonne nouvelle est que le Japon connaît également une forte croissance, comme en témoigne son produit intérieur brut du premier trimestre qui est largement supérieur aux attentes. Cela soulève la question de savoir quand la Banque du Japon adoptera une politique monétaire moins accommodante.
Voici ce que nous allons surveiller
En ce qui a trait aux répercussions sur les placements, nous sommes témoins de réactions contradictoires des marchés boursiers et obligataires. Les marchés obligataires escomptent le risque de cessation de paiement, si bien que les taux des bons du Trésor qui arrivent à échéance au début de juin ont augmenté considérablement. En revanche, les marchés boursiers semblent beaucoup plus optimistes et n’escomptent pas ce risque; même l’indice VIX est relativement bas. À mon avis, les marchés obligataires ont tendance à être plus pessimistes, tandis que les marchés boursiers sont souvent irrépressiblement optimistes.
Je crois que les marchés obligataires nous donnent une idée plus précise des risques qui planent sur les placements à l’heure actuelle et qu’un bref épisode de cessation de paiement est une possibilité réelle. Les marchés boursiers sont susceptibles de refléter ce risque accru si aucune entente n’est intervenue à l’approche du jour X. Je crois simplement qu’un épisode de cessation de paiement serait très bref, car il donnerait l’impulsion nécessaire aux parties pour finalement parvenir à une entente et mettre fin à l’impasse.
Je dois avouer que j’ai hâte à la mi-juin, lorsque l’impasse sur le plafond de la dette sera enfin chose du passé, quoi qu’il advienne. Peut-être devrions-nous voir cette crise du plafond de la dette comme un simple épisode d’allergies financières saisonnières : la situation va s’aggraver avant de s’améliorer, et nous devons simplement patienter en attendant que le pollen diminue et que nous puissions revenir à une vie normale. Je crois que nous pourrons tous mieux respirer d’ici la mi-juin, même si les marchés seront probablement de plus en plus volatils d’ici là.
Une fois cette saga terminée, je crois que tous les regards vont à nouveau se tourner vers les banques centrales. Je suis confiante que la Réserve fédérale américaine et la Banque du Canada poursuivront leurs pauses conditionnelles et que les autres banques centrales des pays occidentaux développés vont bientôt mettre un terme à leurs cycles de resserrement respectifs. Je crois que les marchés vont commencer sous peu à escompter une reprise économique, malgré le grand pessimisme ambiant.
Rédigé en collaboration avec Jennifer Flitton