L'auteur américain Ernest Hemingway a dit un jour : « Nous devons nous faire à l'idée qu'au carrefour le plus important de notre vie, il n'y a aucun panneau de signalisation. Cela semble s’appliquer aux deux plus grandes puissances économiques mondiales. Les États-Unis et la Chine sont à la croisée des chemins et les investisseurs et les observateurs cherchent des données qui les aideraient à savoir quelle direction prendront ces économies, mais aussi, évidemment, quelles retombées cela pourrait avoir sur les placements. Or, les données sont parfois contradictoires, ce qui ajoute à la confusion.
La croisée des chemins de la Chine : le rebond économique va-t-il pouvoir continuer?
Certains commencent à se demander si l'économie chinoise sera en mesure de continuer à rebondir, vu que les récentes données montrent que le boom de la réouverture semble s'essouffler. Les ventes au détail de juillet n’ont pas été à la hauteur des attentes, car elles n'ont augmenté que de 2,7 % sur douze mois, ce qui constitue en fait un ralentissement du rythme de croissance par rapport aux données de juin.1 Les dépenses en immobilisations ont également ralenti. La production industrielle de la Chine a augmenté de 3,8 % sur douze mois en juillet, ce qui est nettement inférieur aux attentes consensuelles de 4,6 % et légèrement inférieur à la production industrielle de juin, qui avait augmenté de 3,9 % sur douze mois.2 Bien que les données de juillet soient décevantes (tout comme d'autres données récentes), il convient de noter qu'une expansion, même au ralenti, demeure une expansion.
Mais surtout, je crois qu'il est important de souligner que les données économiques ne sont peut-être pas les seuls signes auxquels nous devrions nous fier. Nous devrions également examiner la politique, tant monétaire que budgétaire, et son impact potentiel sur l'orientation des économies et des marchés.
Par exemple, l’Association chinoise des constructeurs automobiles a déclaré qu’en juillet, les ventes d’automobiles en Chine ont bondi de 29,7 % sur douze mois.3 Ainsi, les ventes d’automobiles ont augmenté pendant deux mois consécutifs, soutenues par une politique gouvernementale qui inclut une réduction de la taxe de vente. Ce que les données automobiles me disent, c’est que lorsque les décideurs utilisent des outils d’intervention monétaire, ils peuvent avoir un impact positif significatif sur l’économie.
En termes de politique monétaire, la Banque populaire de Chine (PBC) a déjà réagi à la récente détérioration des données économiques en procédant à une baisse surprise des taux d’intérêt, la première depuis janvier. Elle peut procéder à d’autres baisses de taux d’intérêt si elle le juge nécessaire pour soutenir la reprise économique.
Jusqu’à présent, les décideurs ont évité de procurer un large soutien descendant au marché immobilier pour éviter les problèmes de surendettement et les actions chinoises ont perdu le terrain gagné récemment en grande partie en raison des déboires du marché immobilier. Mais je crois qu’ils ont les outils pour empêcher un atterrissage brutal de l’économie si une intervention s’avère nécessaire. À mon avis, les investisseurs sont trop pessimistes à l’égard des actions chinoises, ce qui signifie qu’on pourrait avoir d’agréables surprises.
Bref, je crois que le rebond économique va se poursuivre cette année et je m’attends toujours à ce que les actions chinoises récupèrent une partie des pertes essuyées pendant la première moitié de 2022, vu que les marchés peuvent compter sur un soutien politique, à la fois budgétaire et monétaire, si nécessaire.
La croisée des chemins des États-Unis : l'économie pourra-t-elle éviter une véritable récession?
Le marché boursier américain est lui aussi à la croisée des chemins et de nombreux investisseurs se demandent quelle direction l’économie va prendre. Fait à noter, la majorité des investisseurs semble croire qu’il s’agit d’une reprise insoutenable (une poussée haussière dans un marché baissier). Si nous regardons la chute du sommet au creux du S&P 500, qui est survenue cette année (du 3 janvier au 16 juin), on peut voir que son rendement est légèrement supérieur à -20 % (or, une baisse de 20 % ou plus correspond à la définition d’un marché baissier).4
Étant donné que beaucoup ont remis en question le rebond depuis le creux, nous avons examiné les données historiques des marchés baissiers depuis 1957 et avons constaté que la durabilité des rebonds après un marché baissier a tendance à être déterminée par la présence ou l’absence d’une véritable récession.
Vu le portrait de l’inflation, je crois que les chances d’éviter une récession se sont améliorées pour l’économie américaine (et par « véritable récession », j’entends la définition de récession certes quelque peu ambiguë du National Bureau of Economic Research : un ralentissement significatif de l’activité économique qui s’étend à l’ensemble de l’économie et dure plus de quelques mois). Les pressions sur les chaînes d’approvisionnement semblent s’atténuer et les prix des produits de base ont chuté considérablement par rapport à leurs sommets.
Si vous êtes monétariste, vous pensez probablement que l’inflation va diminuer substantiellement, compte tenu de la décélération monétaire qui s’est produite. Si vous souscrivez à la théorie de la courbe de Phillips, vous êtes probablement d’avis que l’orientation de l’inflation repose sur un assouplissement du marché du travail; c’est ce qui semble se produire puisque le nombre de postes à combler diminue et que des mises à pied sont annoncées. En d’autres termes, on dirait que l’inflation a plafonné et, bien qu’elle soit toujours désagréablement élevée, elle est en perte de vitesse.
En fin de compte, si l’économie américaine entre en récession et que la reprise échoue, à mon avis, tout va dépendre de l’orientation de la politique monétaire. La mesure d’inflation préférée de la Fed va en diminuant et les premières inscriptions à l’assurance-chômage vont en augmentant. Et, compte tenu de la dépendance de la Fed aux données, je crois qu’elle adoptera une position moins belliciste au cours des prochains mois. Je suis persuadée que le resserrement de la politique monétaire va se poursuivre, mais pas de manière aussi marquée que ce à quoi les marchés s’attendent. Et je crois que cela sera suffisant pour que la reprise du marché boursier américain soit soutenue.
Attendre les signes
Désormais, nous allons nous concentrer uniquement sur les données qui intéressent le plus la Fed, en particulier l’inflation et les anticipations d’inflation. De plus, nous allons chercher des indices dans le procès-verbal de la réunion de juillet du Federal Open Market Committee pour trouver des signes de ce qui pourrait amener la Fed à adopter une attitude moins belliciste. Nous allons aussi prêter attention aux nouvelles initiatives politiques de la Chine, particulièrement en ce qui concerne le marché immobilier.
Je crois que l’orientation à court terme des économies et des marchés sera largement dictée par la politique. Cependant, je suis la première à admettre que nous allons devoir faire preuve d’humilité dans la lecture et l’interprétation des signes que nous voyons. Comme l’a dit un jour l’ancien PDG d’AOL, Steve Case : « Il n’y a pas de panneaux de signalisation pour faciliter la navigation. Qui plus est, personne n’a encore déterminé de quel côté de la route nous sommes censés être » (traduction libre).5
Rédigé en collaboration avec David Chao, Paul Jackson et Brian Levitt