Vladimir Lénine a déjà dit ceci : « Il y a des décennies où il ne se passe rien et des semaines où l’on a l’impression de vivre des décennies. » C’est vrai en ce qui a trait aux événements géopolitiques, mais je crois aussi que ça peut s’appliquer à l’inflation. Les dernières semaines ont été plus comme des décennies en ce qui concerne l’inflation, tant du point de vue de la perception que de la réalité.
Aux États-Unis, un trio d'indicateurs d'inflation préoccupe
Aux États-Unis, la perception de l'inflation par le marché a changé en raison de données récentes qui montrent que l'inflation est plus persistante que prévu :
- Tout a commencé le 3 février avec le rapport de janvier sur le marché de l’emploi aux États-Unis, qui indique que l'économie se porte mieux que prévu. Bien que la croissance des salaires n'ait pas été élevée, elle a fait craindre une accélération de l'inflation.
- Puis, le 14 février, le rapport sur l'indice américain des prix à la consommation a révélé que la croissance de l'inflation a ralenti moins vite que prévu le mois dernier.
- Enfin, le 24 février, nous avons reçu le rapport de janvier sur les dépenses de consommation personnelle (PCE), qui a dépassé les attentes. L’indice PCE a augmenté de 0,6 % sur un mois, ce qui est supérieur aux attentes de 0,5 %, et de 5,4 % sur douze mois, ce qui dépasse largement les attentes de 5,0 %.1 L’indice PCE de base a augmenté de 0,6 % sur un mois, ce qui est supérieur aux attentes de 0,4 %, et de 4,7 % sur douze mois.1
La donnée la plus préoccupante du rapport sur les dépenses de consommation personnelle (PCE) est que les services de base excluant le logement ont augmenté de 0,58 % sur un mois, l’une des plus fortes augmentations mensuelles.1 Cette composante de l’inflation est devenue une préoccupation majeure pour la Réserve fédérale américaine (Fed). Dans le procès-verbal de la réunion de février du Federal Open Market Committee, les membres du comité se disent préoccupés du fait que l’inflation des services de base excluant le logement ne ralentit pas suffisamment et que les pressions à la hausse sur cette composante pourraient se poursuivre parce que le marché du travail est très tendu.
Ces données ont changé les perceptions du marché à l’égard de l’inflation et les attentes d’un resserrement de la politique monétaire. Les contrats à terme sur fonds fédéraux reflètent ce changement majeur : le 2 février, les contrats à terme sur fonds fédéraux indiquaient un taux final prévu de 4,88 % d’ici le mois d’août.2 Mais après avoir reçu ce trio d’indicateurs d’inflation, les contrats à terme sur fonds fédéraux indiquaient un taux final de 5,4 % d’ici le mois d’août, selon les données du 24 février.2
L'économie américaine se porte mieux que ce à quoi beaucoup s'attendaient.
Cependant, l'inflation n'est pas le seul élément à l’égard duquel les perceptions changent : des données récentes indiquent que l'économie américaine est plus forte que prévu.
Tout a commencé avec ce même rapport sur l’emploi de janvier publié le 3 février, qui montre un nombre d’emplois non agricoles beaucoup plus élevé que prévu. D’autres données ont corroboré la thèse selon laquelle l’économie américaine est plus résiliente que prévu.
- Les données préliminaires des indices américains S&P Global des gestionnaires en approvisionnement (PMI) pour le mois de février sont revenues en territoire expansionniste et ont atteint un nouveau sommet en huit mois.3
- L’indice d’activité nationale de la Fed de Chicago est passé de ‑0,46 points en décembre à 0,23 points en janvier, par suite de l’amélioration des indicateurs liés à la production et à l’emploi.4
Dans son allocution la semaine dernière, le président de la Réserve fédérale de St. Louis, James Bullard, a expliqué ceci : « Il semble que l’économie américaine soit plus résistante que ne le pensaient les investisseurs il y a six ou huit semaines à peine. »5
Inflation vs croissance : une arme à double tranchant
Ce que nous voyons, c’est une arme à double tranchant : l’économie américaine est en meilleure posture que ce à quoi nous nous attendions, mais l’inflation est moins favorable que prévu. Alors, qu’est-ce qui importe le plus? À l'heure actuelle, il semble que ce soit les données sur l'inflation qui importent le plus, étant donné que la Fed concentre toutes ses énergies à la lutte contre l'inflation. Voilà pourquoi, le 2 février, l’indice S&P 500 avait augmenté de plus de 8 % depuis le début de l’année, alors que les taux baissaient; les actions technologiques, qui sont très sensibles aux taux d’intérêt, sont les titres qui ont enregistré les plus fortes hausses.6 Depuis lors, le S&P 500 a perdu la majeure partie de ces gains parce que les investisseurs s’attendaient à ce que la Fed adopte une position plus belliciste.
La situation est similaire en Europe
Ce phénomène n’est pas isolé aux États-Unis. On observe la même situation dans la zone euro; l’économie est plus forte que prévu, mais l’inflation aussi.
- Les données préliminaires des indices composés PMI S&P Global de la zone euro pour le mois de février les placent confortablement en territoire expansionniste, à 52,3 points, un sommet en neuf mois.7 Les deux composantes sont en expansion : l’indice PMI manufacturier de la zone euro s’est hissé à 50,4 points et a lui aussi atteint un sommet en neuf mois, tandis que l’indice du secteur tertiaire s’est hissé à 53,0 points, un sommet en 8 mois.7
- Le taux d’inflation des prix à la consommation dans la zone euro est passé de 9,2 à 8,6 % sur douze mois en janvier, mais l’inflation de base a en fait augmenté, passant de 5,2 à 5,3 %8, ce qui inquiète probablement la Banque centrale européenne. Le président de la Banque fédérale d’Allemagne, Joachim Nagel, a donné son avis à ce sujet la semaine dernière : « ce serait un péché capital de lâcher prise trop tôt ».9
Interpréter ces récents rapports
Comment pouvons-nous interpréter tout cela? Selon moi, ce sera de courte durée. Les dépenses et les prix augmentent et le temps est exceptionnellement doux dans les régions les plus froides des États-Unis et de l’Europe. Or, éventuellement, la croissance économique et les prix vont subir des pressions à la baisse, car les effets décalés du resserrement de la politique monétaire vont finir par se répercuter sur ces économies. Cela ne signifie pas que la croissance et l’inflation vont ralentir rapidement; je crois qu’il faudra un certain temps pour que cela se produise, mais je m’attends à ce que les données finissent par aller dans la bonne direction.
Une lueur d’espoir?
Le taux des bons du Trésor américain à 10 ans est remonté rapidement autour de 4,00 % au cours des dernières semaines, ce qui, comme je l’ai mentionné plus tôt, a exercé des pressions à la baisse sur les actions.10 Cependant, la hausse des taux des bons du Trésor américain à 10 ans nous donne peut-être une lueur d’espoir.
Comme mon collègue Paul Jackson l’a souligné, plus des deux tiers des gains proviennent de la composante « réelle » ou ajustée en fonction de l’inflation du taux à 10 ans, représentée par le taux des titres du Trésor protégés contre l’inflation (le taux des TIPS est passé d’un creux de 1,15 % au début de février à 1,58 % la semaine dernière).11 Selon lui, cela signifie que la hausse des taux à 10 ans est davantage liée à l’optimisme à l’égard du cycle économique qu’aux craintes entourant l’inflation.
Conclusion
Ainsi, les marchés anticipent d’autres hausses de taux et un resserrement accru des conditions financières, ce qui pourrait, bien sûr, effacer une partie des gains enregistrés récemment. Cependant, je ne m’attends pas à un resserrement plus marqué que ce à quoi on s’attendait en janvier. Bref, je m’attends à ce que l’inflation diminue et à ce que la Fed mette un terme à son cycle de resserrement, ce qui donnerait lieu à une conjoncture plus favorable aux actifs à risque.
Cependant, les marchés risquent d’évoluer en dents de scie pendant quelques mois, avant que la situation ne s’améliore et que les composantes plus défensives du marché obtiennent de meilleurs rendements. Cela étant dit, gardez à l’esprit que l’attitude des investisseurs a changé rapidement au cours des dernières semaines et qu’elle pourrait changer à nouveau. C’est comme ça dans un monde dépendant des données. Tenez bon et maintenez un portefeuille bien diversifié.