La Réserve fédérale américaine a fait une volte-face belliciste la semaine dernière. Kristina Hooper examine les retombées pour les marchés, en particulier les actions technologiques, et nous dit ce qui pourrait arriver.
Comme les lecteurs assidus de mon blogue le savent, je me suis parfois improvisée épidémiologiste au cours des deux dernières années. Ce que vous ne savez peut-être pas, mais ce dont mes enfants peuvent témoigner, c'est que je m’improvise aussi parfois sociologue, psychologue et philosophe. Par exemple, je suis fascinée par la tendance que mes enfants ont à « perdre du temps » alors qu’ils travaillent sur des projets importants (ce dont ils sont parfaitement conscients) et à « se réveiller » soudainement alors que l'échéance est imminente. Ils réagissent comme Rip Van Winkle, qui se réveille après plusieurs années de sommeil et est stupéfait de voir à quel point le monde a changé.
Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à mes enfants (et à mon pauvre mari qui, plus souvent qu’à son tour, est allé acheter du carton et des marqueurs magiques tard le soir pour que les enfants puissent terminer leur projet) la semaine dernière, lorsque le Federal Open Market Committee (FOMC) a rendu public le procès-verbal de sa réunion de décembre. À la lecture de ce procès-verbal, j’ai l’impression que les membres du FOMC ont été pris par surprise par la situation du marché du travail et l'état de la politique monétaire, alors qu'ils ont vraisemblablement suivi de près l'évolution de la situation. Par exemple, ceux et celles qui ont participé à la réunion de décembre « ont fait remarquer que les perspectives économiques actuelles sont beaucoup plus reluisantes, vu le taux d’inflation plus élevé et la pénurie de main-d’œuvre plus marquée qu'au début de l'épisode précédent de retour à la normale ».
Les membres du FOMC ont également semblé surpris par la taille du bilan de la Réserve fédérale américaine (Fed), puisqu'ils ont déclaré qu’il « est beaucoup plus gros, tant en dollars que par rapport au produit intérieur brut (PIB) nominal, qu'il ne l'était à la fin du troisième programme d'achat d'actifs à grande échelle, à la fin de 2014 ».
Comme mes enfants écriraient par texto (mais jamais en parlant d’eux) : jnrp (je n’en reviens pas).
Une seule véritable surprise ressort de la réunion du FOMC
La véritable surprise qui est ressortie du procès-verbal de la réunion est la volonté de la Fed de commencer à réduire son bilan dès cette année. La Fed s’apprête à alléger son bilan peu après le « décollage de la hausse des taux ». Ce serait beaucoup plus tôt que le moment de la réduction du bilan au cours de la dernière période de retour à la normale.
Par conséquent, la semaine dernière, la Fed a fait une énorme volte-face belliciste. Et je m'attends à ce que le rapport de décembre sur l'emploi aux États-Unis rendu public vendredi dernier donne raison à la Fed. Même si le nombre d’emplois non agricoles créés en décembre est bas, c’est moins important que le chômage et la croissance des salaires. Le taux de chômage est tombé à un impressionnant 3,9 %, tandis que le salaire horaire moyen a augmenté de 0,6% sur un mois, ce qui est largement supérieur aux attentes.1 La faible création d’emplois non agricoles ne devrait pas inciter la Fed à reporter le resserrement de sa politique monétaire, tout comme le bas taux de chômage et la croissance plus forte des salaires devraient conforter la Fed dans son intention d’amorcer un resserrement dès cette année.
Les marchés s’attendent à un resserrement plus musclé de la Fed cette année
Le « Fedspeak » dans les jours qui ont précédé la publication du procès-verbal du FOMC et le contenu du procès-verbal en tant que tel ont contribué à l’espoir que la Fed procède à un resserrement plus musclé cette année; les contrats à terme sur fonds fédéraux suggèrent une forte probabilité d'un décollage de la hausse des taux en mars. La hausse du taux des bons du Trésor américain à 10 ans a été provoquée par la volte-face abrupte de la Fed (et les perceptions positives à l’égard du variant Omicron). Au moment d'écrire ces lignes, le taux des bons du Trésor américain à 10 ans a atteint un sommet jamais vu depuis janvier 2020, soit avant le début de la pandémie.
Quelles sont les retombées sur les actions?
Cette hausse du taux des bons du Trésor américain à 10 ans a bien sûr eu un impact sur la courbe des taux et a des répercussions sur les titres à revenu fixe. Cependant, elle a également eu un très gros impact sur les actions, en particulier les valeurs technologiques.
La sagesse populaire veut que les actions dont l’évaluation est élevée soient plus vulnérables à une hausse des taux à l’extrémité longue de la courbe des taux. Les actions à longue durée (les actions qui devraient verser une forte proportion de leurs flux de trésorerie dans un avenir lointain) sont également plus vulnérables à une hausse des taux à long terme, car ces flux de trésorerie futurs sont actualisés à un taux plus élevé. Bien entendu, de nombreuses actions à plus longue durée sont également des actions à valorisation plus élevée.
Évidemment, le symbole des actions à plus longue durée et à valorisation plus élevée est le secteur des technologies qui était à l'épicentre du repli de la semaine dernière. Fait à noter, j'ai constaté que les investisseurs ont changé de position assez rapidement à l’égard de ce secteur; ils ne le perçoivent plus comme une « valeur refuge » au sein des actions, mais plutôt comme un secteur très risqué.
Cependant, il ne faut pas réagir de façon exagérée à la chute des cours des valeurs technologiques. Bien sûr, il faut s’attendre à une faiblesse au cours des prochains mois, alors que les actions en général, et les valeurs technologiques en particulier, vont s'adapter à la position plus belliciste de la Fed. Cependant, je crois que le potentiel de croissance de ce secteur d’activité demeure élevé. On pourrait même faire valoir que le secteur des technologies de l’information est peut-être bien positionné en prévision d’une conjoncture de hausse des taux d’intérêt, car ces entreprises sont en moyenne moins endettées que celles des autres secteurs.2 Pour les investisseurs qui ont un horizon temporel suffisamment long, le repli des valeurs technologiques pourrait constituer une bonne occasion de placement. Cela me rappelle le vieil adage qui dit : « Soyez craintifs quand les autres sont avides. Soyez avides quand les autres sont craintifs ».
À surveiller cette semaine
Ce sera une semaine très chargée pour les observateurs des marchés. Voici quelques-uns des enjeux clés que je vais surveiller :
- La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, va prononcer une allocution cette semaine. Pour autant que je sache, la BCE ne devrait pas avoir une réaction à la Rip Van Winkle et se dire surprise par la situation actuelle, du moins pas encore. Jusqu'à présent, l'économie européenne a été plus durement touchée par la propagation du variant Omicron. Les indices des gestionnaires en approvisionnement (PMI) de la zone euro sont passés de 55,4 points en novembre à 53,3 points en décembre.3 Ceux du Royaume-Uni ont également chuté considérablement entre novembre et décembre. Comme l'a expliqué Joe Hayes d'IHS Markit : « L'expansion accélérée de la production observée en novembre a malheureusement été de courte durée. Vu la résurgence de cas de COVID-19 dans la zone euro en décembre, la croissance a chuté à son plus bas depuis mars »3. L'inflation a monté en flèche dans la zone euro, tout comme aux États-Unis. L'estimation préliminaire du taux d'inflation de décembre dans la zone euro se chiffrait à 5,0 %, contre 4,9 % en novembre; le taux d’inflation de base en décembre était de 2,7 %.4 Cependant, je doute que la BCE veuille procéder à un resserrement aussi marqué que la Fed. Elle s'attend à ce que le taux d’inflation de base redescende sous la barre des 2 % d'ici la fin de cette année (mais elle se dit consciente que les probabilités sont plus fortes que le taux d’inflation augmente). Cela signifie que la BCE ira probablement plus lentement que la Fed pour ce qui est des hausses de taux et ne commencera pas tout de suite à réduire son bilan.
- De plus, le président du conseil de la Fed, Jay Powell, témoignera cette semaine dans le cadre des audiences en vue de sa reconduction. Je ne m'attends pas à ce qu'il abandonne sa position belliciste, même si cela pourrait apaiser les marchés. Il pourrait même dire que la pression pour que la Fed augmente ses taux a diminué, puisqu’elle va amorcer la réduction de son bilan plus tôt dans le processus de retour à la normale. Cela ne changera peut-être pas le moment du décollage de la hausse des taux (bien que j'aie encore un peu d'espoir que la Fed n'augmente pas les taux à sa réunion de mars), mais cela semble indiquer que la Fed pourrait décider de procéder à moins de hausses de taux en 2022.
- L'indice des prix à la consommation et l'indice des prix à la production des États-Unis seront rendus publics cette semaine (préparez votre pop-corn pour ce grand événement, étant donné que non seulement les décideurs se concentrent sur l'inflation, mais les politiciens aussi).
- Le PIB du Royaume-Uni sera divulgué cette semaine et fera probablement état des pressions exercées par la propagation du variant Omicron.
- Les statistiques sur les ventes au détail aux États-Unis seront publiées plus tard dans la semaine et pourraient également montrer que la propagation d'Omicron exerce une certaine pression.
- Enfin, je vais surveiller de près les taux d'infection à la COVID en Asie, qui devraient augmenter rapidement compte tenu de la contagiosité d'Omicron. Je crois que cette vague sera de relativement courte durée, mais elle risque d’être énorme, comme ce fut le cas ailleurs dans le monde, ce qui a des retombées négatives sur les économies nationales, les chaînes d'approvisionnement et l'inflation mondiale.
Conclusion
Les investisseurs doivent se préparer à de la volatilité sur les marchés boursiers, obligataires et des cryptomonnaies; bref, quelle que soit la catégorie d'actifs, alors que les marchés vont s'ajuster au retour à la normale de la Fed. Il ne faut pas perdre cela de vue, car nous avons déjà vécu de la volatilité induite par le retour à la normale de la Fed et y avons survécu.