Octobre a été tout un mois et novembre s'annonce tout aussi chargé en actualités boursières. Voici un résumé des points forts et des points faibles du dernier mois et un aperçu des éléments que je vais surveiller dans les semaines à venir.
Points forts et points faibles d’octobre
Point faible : Sans tambour ni trompette, la courbe des taux des bons du Trésor américain de 3 mois à 10 ans s’est inversée la semaine dernière, ce qui confirme sans doute l’inversion de la courbe des taux des bons du Trésor américain de 2 à 10 ans en tant qu’indicateur de récession. Rappelez-vous que la courbe des taux de 3 mois à 10 ans est généralement l'indicateur de récession de prédilection des dirigeants de la Réserve fédérale américaine (Fed) et est même utilisée par la Fed de New York dans ses modèles de probabilité de récession. Ironiquement, les investisseurs s'inquiétaient de l'inversion de la courbe de 2 à 10 ans, mais semblent moins préoccupés par l’inversion de cette portion de la courbe, car ils présument qu'elle pourrait inciter la Fed à changer de cap plus rapidement.
Point fort : En octobre, les actions américaines ont inscrit d’excellents rendements.1 Je crois que cela s’explique par une combinaison de facteurs, y compris l’anticipation d’un changement de cap de la Fed plus tôt que tard, la situation de survente provoquée par le repli marqué survenu en septembre et les bénéfices toujours supérieurs aux attentes (malgré quelques déceptions qui sortent du lot).
Point faible : La Banque centrale européenne (BCE) a de nouveau relevé les taux de 75 points de base, sans trop préciser ce qui se passera par la suite. Dans sa dernière déclaration, la BCE a affirmé avoir fait des « progrès substantiels » en matière de resserrement et a remplacé le libellé indiquant qu’elle augmenterait les taux à « plusieurs de ses prochaines réunions » par une référence plus vague à « d’autres » augmentations des taux d’intérêt. Certains ont vu là un signal que la BCE procédera bientôt à un léger changement de cap.2 Toutefois, on ignore encore si ce sera effectivement le cas. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a déclaré ceci : « Nous avons admis qu’il y aurait d’autres hausses de taux, mais je ne peux pas vous dire à quel rythme ni de quelle ampleur ».3 Comme je l’ai déjà dit, les fortes hausses de taux de la BCE me préoccupent, car la politique monétaire ne peut rien changer à une grande partie des pressions inflationnistes que subit l’Europe. Par conséquent, il n’y a pas de quoi s’étonner que les perspectives de l’économie européenne s’assombrissent.
Point fort : La Banque du Canada a adouci le ton et augmenté ses taux de seulement 50 points de base la semaine dernière. Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a expliqué cette décision comme suit : « La phase actuelle de resserrement arrivera à fin. Bientôt, mais pas tout de suite.4 Cette décision a été prise malgré des statistiques économiques relativement bonnes et une hausse prévue de 75 points de base par la Fed la semaine prochaine. Pour quelqu’un comme moi qui s’est inquiétée de la vitesse vertigineuse du resserrement de certaines banques centrales, c’est plutôt une bonne nouvelle. La Banque du Canada pourrait être à l’avant-garde des banques centrales occidentales effectuant un « léger changement de cap ».
Point fort : La Banque du Japon se trouve dans une situation très différente de celle des grandes banques occidentales. Dans sa plus récente décision, elle a laissé les taux inchangés et a gardé le contrôle sur la courbe des taux. Elle a également relevé sa prévision d’inflation à 2,9 %.
Point faible : L’économie mondiale ralentit :
- Zone euro. L’économie de la zone euro a montré d’autres signes de détérioration; entre autres, les indices préliminaires des gestionnaires en approvisionnement (PMI) d’octobre ont reculé par rapport à septembre. L’indice PMI manufacturier a descendu à 46,6 points en octobre, contre 48,4 points en septembre.5 C’est bien en deçà des attentes et il s’agit du quatrième mois de contraction. Le plus inquiétant est peut-être que les nouvelles commandes ont énormément diminué. L’indice PMI du secteur tertiaire a également chuté en octobre, ce qui marque un troisième mois de contraction.5 De plus, l’inflation des coûts des intrants s’est accélérée en octobre.
- États-Unis. À 2,6 %, la croissance du produit intérieur brut (PIB) du troisième trimestre a été plus forte que prévu et ce changement est bienvenu après deux trimestres de contraction. Sans surprise, le marché boursier a bien réagi à cette nouvelle.6 Cependant, mon collègue Paul Jackson a fait remarquer que si l’on exclut l’effet des exportations nettes et des stocks, le portrait de la situation est tout autre : c’est celui d’une croissance beaucoup plus faible (quoique toujours positive). Il a ajouté que les dépenses en immobilisations ont diminué au cours des deux derniers trimestres, ce qui est préoccupant, étant donné qu’elles ont souvent été la composante qui mène l’économie à la récession.
- Chine. La Chine a finalement divulgué son PIB et ses statistiques économiques, qui indiquent que le redressement de l’économie ne se fera pas sans heurts. La bonne nouvelle est que la consommation des ménages a augmenté considérablement; la mauvaise nouvelle est qu’elle est toujours inférieure à avant la pandémie.
Point faible : La semaine dernière a été difficile pour les marchés boursiers chinois, qui ont chuté de façon spectaculaire au lendemain du Congrès national du Parti. Ils pourraient demeurer faibles pendant un certain temps encore, car les investisseurs s’inquiètent des rapports sur les mesures de confinement liées à la COVID et attendent d’en savoir plus sur les politiques économiques à venir. La bonne nouvelle est que les valorisations des actions chinoises semblent attrayantes par rapport aux données antérieures. Le plus récent repli a fait chuter les valorisations près des planchers historiques. Le ratio cours-bénéfice corrigé des variations cycliques (RCBCVC) des marchés boursiers chinois s’établit à 13,7 fois, ce qui est légèrement au-dessus de son creux historique de 13,1 fois (à titre de comparaison, le RCBCVC actuel du marché boursier américain est de 31,8 fois et celui de l’Inde est de 37,6 fois).7
« Point plus ou moins fort » : Les déclarations de bénéfices des sociétés américaines ont été plutôt décevantes la semaine dernière; certaines grandes entreprises technologiques affichent des résultats décevants. Cela étant dit, il n’y a pas eu que de mauvaises nouvelles; jusqu’ici, la période de déclaration des bénéfices est somme toute encourageante. Au 28 octobre, 52 % des entreprises du S&P 500 avaient dévoilé leurs bénéfices. De ce nombre, 71 % ont déclaré un bénéfice par action plus élevé que prévu et 68 % ont dévoilé des revenus supérieurs aux attentes.8 Les entreprises des secteurs de l’énergie et des technologies de l’information ont connu une meilleure période de déclaration des bénéfices jusqu’à présent; ce sont elles qui affichent les pourcentages les plus élevés d’entreprises qui ont déclaré des bénéfices supérieurs aux estimations, soit 89 % et 84 % respectivement. Par contre, les sociétés des secteurs des matériaux et des services aux collectivités ont une période de déclaration des bénéfices décevante jusqu’ici; ce sont elles qui affichent les pourcentages les plus faibles d’entreprises qui ont déclaré des bénéfices supérieurs aux estimations, à savoir 55 % et 57 % respectivement.8
Événements à surveiller en novembre
Réunion du Federal Open Market Committee (FOMC). Le FOMC va se réunir cette semaine, mais je ne m’attends à aucune surprise. Il y a un fort consensus à savoir que le taux des fonds fédéraux va augmenter de 75 points de base. L’élément le plus important à surveiller, à mon avis, est la conférence de presse qui va suivre l'annonce des taux. Certains croient que c’est à ce moment-là que la Fed va amorcer un changement de cap. Selon moi, cela pourrait très bien être le cas, mais cela risque d’être un léger changement de cap, comme celui de la Banque du Canada. Il se peut fort bien que le président du conseil de la Fed, Jay Powell, fasse écho au message de M. Macklem, à savoir qu’il est approprié de ralentir les hausses de taux à partir de maintenant, pour donner le temps au resserrement effectué jusqu’ici de se refléter dans l’économie. Autrement dit, le resserrement va se poursuivre, mais à un rythme plus lent. Ce me contenterait, mais ce ne sera peut-être pas suffisant pour les marchés.
Élections de mi-mandat aux États-Unis. Il me semble évident que les démocrates risquent de perdre la majorité à la Chambre des représentants, mais on ignore encore ce qui va se passer au Sénat. Quoi qu’il advienne, les élections de mi-mandat n'auront probablement pas beaucoup d'impact sur les marchés. Évidemment, les investisseurs aiment voir un équilibre des pouvoirs au gouvernement, alors un Congrès divisé pourrait être un aspect légèrement positif. Cependant, il convient de noter que ce qui a toujours le plus compté, c’est l’année elle-même; la troisième année d’un cycle présidentiel a eu tendance à être la meilleure pour les rendements boursiers.9 Espérons que l’histoire va se répéter.
Inflation. Certains espèrent une « désinflation immaculée »; ils s’imaginent que les prix vont baisser rapidement, surtout aux États-Unis. Malheureusement, je doute que ce sera aussi facile ou simple que cela. Certaines sources de pression inflationniste s’atténuent rapidement, telles que les pressions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, tandis que d’autres pourraient être plus tenaces, notamment les salaires. De plus, les composantes qui s’atténuent, telles que les pressions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, pourraient s’inverser advenant l’adoption de mesures de confinement à grande échelle liées à la COVID, comme ce fut le cas au printemps.
Indices PMI mondiaux. Nous sommes dans une conjoncture extraordinaire de resserrement synchronisé de la part de nombreuses banques centrales. Étant donné qu’il y a un décalage entre le moment du resserrement et ses effets, bien qu’il y ait déjà eu des dégâts économiques, je crois que nous n’avons pas encore vu la majeure partie de l’impact de ce resserrement sur l’économie. Les indices PMI, en particulier le sous-indice des nouvelles commandes, sont souvent les premiers « canaris dans la mine de charbon ». Nous allons surveiller de près ces données. De légers reculs mensuels ne me dérangent pas trop, car je sais que les banques centrales orchestrent un ralentissement majeur. Par contre, une chute considérable serait une source d’inquiétude et un signe que les banques centrales ont procédé à un resserrement « exagéré ».
Jour des célibataires en Chine. Les investisseurs sont plutôt pessimistes à l’égard de la Chine et de son économie. Cependant, les résultats réels sont plus importants que la confiance des investisseurs. À mon avis, un bon indicateur de l’humeur des consommateurs chinois est le Jour des célibataires, événement commercial extrêmement important en Chine qui a lieu le 11 novembre (bien que ces dernières années, il ait été prolongé pendant plusieurs jours). Rappelons qu’en 2020, les ventes du Jour des célibataires ont envoyé un signal clair indiquant que l’économie chinoise s’était redressée de belle façon après le ralentissement initial provoqué par l’éclosion de l’épidémie de COVID. Les chiffres de ventes de cette année pourraient nous donner une bonne idée de la façon dont l’économie chinoise va rebondir après son récent ralentissement, mais surtout de la santé financière des consommateurs chinois.
Guerre opposant la Russie à l’Ukraine. Évidemment, cette guerre a eu un impact majeur sur l’économie mondiale; elle a fait chuter la croissance et bondir l’inflation. Nous allons donc suivre de près l’évolution de la situation dans les semaines à venir, d’autant plus que le temps se refroidit et certains pensent que cela pourrait donner un avantage militaire à la Russie, qui a remporté plusieurs victoires militaires dignes de mention en hiver. Une situation qui risque d’être très problématique pour les prix des aliments est le nouvel embargo russe sur les céréales ukrainiennes (essentiellement le retrait de la participation de la Russie à un accord qui permettait l’exportation des céréales ukrainiennes depuis ses ports de la mer Noire).
Déclarations de bénéfices à venir. La période de déclaration des bénéfices est loin d’être terminée et d’autres résultats décevants pourraient être divulgués au cours des prochaines semaines, ce qui risque de miner la confiance des investisseurs.
Rédigé en collaboration avec Paul Jackson et Thomas Wu