Le 4 juillet, le Jour de l’indépendance des États-Unis, est un bon moment pour faire le point sur l’état du pays. Au premier semestre de l’année, les actions américaines ont inscrit un rendement inférieur à celui du Royaume-Uni1, le dollar américain a atteint son plus bas niveau en trois ans2 et l’Allemagne a mené le bal en ce qui a trait au soutien budgétaire au moyen de dépenses en défense et en infrastructures. Que signifie tout cela pour la pérennité de l’exceptionnalisme américain?
Cette semaine, nous faisons le point des deux côtés de l’Atlantique avec Ben Jones, directeur de la recherche macroéconomique au Royaume-Uni, et Brian Levitt, stratège des marchés mondiaux aux États-Unis.
Une conversation sur l’exceptionnalisme américain
Ben : J’espère que vous avez passé une belle fête du 4 juillet.
Brian : Merci. J’apprécie toujours d’échanger avec nos amis d’outre-Atlantique, même si nous avons pris des chemins différents il y a quelques siècles.
Ben : Certes, nous nous sommes séparés, mais regardez-nous maintenant : réunis par écrit.
Brian : Une belle amitié. Vous devez être content cette année. L’indice MSCI Royaume-Uni en dollars américains est en hausse de 19,26 % depuis le début de l’année, contre 6,20 % pour l’indice S&P 5001.
Ben : En quelque sorte. C’est agréable de voir le Royaume-Uni reprendre la place qui lui revient devant les États-Unis. Mais lorsque je me penche sur mon portefeuille en tant qu’investisseur britannique, au premier semestre de 2025, je n’entrevois qu’un gain de 9 % sur l’indice MSCI Royaume-Uni en livres sterling (GBP) et j’observe une perte de 3,05 % sur ma position dans l’indice S&P 5003. Cela s’explique par l’absence de couverture de change sur les positions en actions, tandis que le dollar américain a atteint son plus bas niveau en trois ans à la fin du premier semestre de 2025 et que la livre sterling s’est appréciée de 9,72 % par rapport au dollar américain au premier semestre de 20252.
Brian : Cela explique peut-être pourquoi vous semblez plus préoccupé que moi par une possible fin de l’exceptionnalisme américain. Notre avis dépend souvent de notre position.
Ben : La perception est bel et bien la réalité. Je suis certain que vous êtes assez satisfait d’une progression de 6,20 % de l’indice S&P 5001 depuis le début de l’année, surtout compte tenu de l’incertitude politique et de la volatilité des marchés américains au premier semestre.
Brian : Surtout après deux années consécutives de rendements supérieurs à 25 %4. Cela me semble toujours assez exceptionnel. Que voulez-vous dire lorsque vous parlez de la fin de l’exceptionnalisme américain?
Ben : Je n’aime pas vraiment le terme « exceptionnalisme américain ». C’est une expression trop simpliste pour décrire ce qui se passe actuellement. Je pense que le marché boursier américain a perdu une partie de sa vigueur cette année et que les attentes à l’approche de 2025 étaient trop élevées. Cela dit, je ne crois pas que les actions américaines vont nécessairement baisser en valeur absolue sur un horizon de placement significatif. Je pense simplement que d’autres marchés vont surpasser les États-Unis, parce qu’ils commencent à dépasser des prévisions pessimistes. Mais je suis fermement convaincu que le dollar américain continuera de s’affaiblir.
Cela dit, je suis convaincu que les États-Unis demeureront un endroit formidable où vivre, travailler et voyager. J’ai adoré mon récent séjour au Texas, où le barbecue est d’ailleurs excellent.
Brian : C’est ce que je me disais. Néanmoins, vous n’avez pas changé d’avis, même si les actions et les obligations américaines se sont redressées au cours des deux derniers mois5.
Ben : Oui, mon point de vue demeure inchangé. Comme vous le savez très bien, les marchés n’évoluent pas en ligne droite. Mon raisonnement est que les économies, les marchés et les devises des autres pays vont commencer à rattraper les États-Unis après sa longue période de surperformance. Je pense que ce sera une période difficile, marquée par de nombreux détours en chemin.
Brian : Les investisseurs américains entendent ce discours depuis longtemps, mais ils l’ont enfin vu se concrétiser au premier semestre de 2025. Est-ce simplement l’exemple de l’horloge cassée qui donne l’heure juste deux fois par jour, ou est-ce un scénario plus durable?
Ben : Je crois que c’est plus durable. Cette situation est largement attribuable à l’idée que la croissance aux États-Unis, par rapport au reste du monde, ralentira, et que la croissance dans la majeure partie du reste du monde pourrait être supérieure aux attentes.
Brian : Même le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell, a laissé entendre que la Fed abaisserait probablement les taux d’intérêt si les droits de douane imposés par l’administration Trump n’étaient pas un facteur.
Ben : Peut-être. J’avoue remettre en question mon opinion selon laquelle la Fed ne réduira pas les taux en 2025. Pour l’instant, je maintiens ma position, mais je changerai d’avis si les données sur le marché de l’emploi se détériorent. Je ne suis pas dogmatique, mais je continue à penser, du moins pour le moment, que la politique monétaire américaine ne sera probablement pas aussi expansionniste qu’elle aurait pu l’être. Toutefois, d’autres banques centrales, dont la Banque centrale européenne et la Banque populaire de Chine, ont déjà commencé à assouplir considérablement leur politique monétaire.
Je pense que l’aspect le plus important, et le plus sous-estimé, est que le reste du monde se ressaisit et consacre plus d’argent à la défense et aux infrastructures, à commencer par l’Allemagne. La semaine dernière, le gouvernement fédéral allemand a adopté son projet de budget pour 2025. Il prévoit de dépenser plus de 200 milliards d’euros pour la défense et les infrastructures cette année et de lever plus de 3 % du produit intérieur brut en nouvelle dette. Cela représente une augmentation importante des émissions d’obligations.
Brian : Du soutien budgétaire de la part des Allemands, pourtant réputés austères? Impressionnant! Cela aurait peut-être été plus utile lors de la crise financière mondiale ou pendant la pandémie.
Ben : Je suis d’accord. Mais cela ne s’est pas produit à l’époque. Les mesures budgétaires prises par les États-Unis au cours de ces périodes ont fortement soutenu la croissance qui a contribué à soutenir l’exceptionnalisme américain. Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui impulse cette dynamique. L’année 2025 en sera une pour les livres d’histoire.
Brian : Parallèlement, les évaluations à l’extérieur des États-Unis ont été plus intéressantes6.
Ben : Exactement. J’ajouterais aussi que le dollar américain reste surévalué par rapport aux devises de ses principaux partenaires commerciaux. Il a probablement encore de la marge pour se déprécier.
Brian : Qu’est-ce qui explique le repli du dollar? Ce n’est pas comme si les investisseurs étrangers délaissaient massivement les actifs libellés en dollars.
Ben : Non, selon moi, il n’y a pas d’exode. La confiance à l’égard des actifs financiers américains est remise en question, mais nous n’observons pas une perte totale de confiance. À mon avis, le repli du dollar américain reflète plutôt la volonté des investisseurs étrangers de diversifier leurs importantes positions en dollars, et certains choisiront probablement de les couvrir. Jusqu’à présent, nous n’avons pas observé beaucoup de signes – comme des flux de fonds négociés en bourse (FNB) – d’importantes ventes d’actifs américains. En revanche, nous observons que de nouveaux fonds non américains se propagent sur des marchés non américains. L’idée selon laquelle il n’y a aucune solution de rechange aux marchés américains s’est estompée. Il existe des solutions de rechange.
Brian : Pouvez-vous imaginer un scénario dans lequel les investisseurs étrangers auraient complètement perdu confiance à l’égard des actifs américains?
Ben : Je le peux, mais cela nécessiterait une détérioration importante de la confiance envers les institutions américaines. Certaines questions commencent à émerger, mais nous n’en sommes pas encore là. Je pense qu’il faut avoir confiance que les mécanismes de freins et contrepoids aux États-Unis finiront par prévaloir.
Brian : Alors, espérons que la Fed restera indépendante.
Ben : Effectivement. Je ne sais pas pour vous, mais je ne voudrais pas être à la place du président Powell.
Brian : La fin de l’exceptionnalisme américain ressemble davantage à un argument en faveur de la diversification vers les actions, les obligations et les devises non américaines.
Ben : Oui. Les États-Unis continueront de posséder des caractéristiques uniques qui les distinguent de bien d’autres pays. Je prévois continuer à investir dans des entreprises américaines novatrices, à m’engager dans la culture américaine et à voyager aux États-Unis aussi souvent que possible. J’ai simplement accru mon exposition à des actifs à l’extérieur des États-Unis et je m’attends à maintenir ces positions. Et pour la toute première fois, je couvre mon exposition aux devises.
Brian : Je suis heureux que nous ayons tiré cela au clair.
Ben : Moi aussi.
Brian : Que l’exceptionnalisme américain s’estompe ou non, une chose demeure constante : la vigueur persistante du dialogue transatlantique.