Question de style ou question de fond ? Pourquoi le match « croissance contre value » ne m’intéresse-t-il pas ?

« Que vont faire les marchés maintenant ? » On m’interroge souvent pour connaitre les anticipations de mon équipe et notre vision du marché. En fait, ce n’est pas en faisant des prévisions que nous gagnons notre vie. La personne qui, aussi brillante soit-elle, serait capable de dégager un revenu régulier en anticipant correctement les évolutions à court terme du marché n’est pas encore de ce monde.
Dans la presse financière, le débat entourant la question des valorisations et la rivalité entre les styles « value » et « croissance » ne semble pas près de s’éteindre. Les gens adorent les étiquettes et ceux qui me connaissent bien savent que je les déteste. Elles ont selon moi un effet délétère sur la performance de l’investissement.
Le débat sur le style passe à côté de la question
Généralement, je pense que toute discussion sur le style est hors sujet. Le marché affiche un certain niveau de valorisation, tantôt celui-ci est juste, tantôt il est trop élevé ou trop bas. Mais nous n’achetons pas le marché, nous nous exposons à une sélection extrêmement rigoureuse d’idées d’investissement intéressantes que nous recherchons dans le monde entier. Nous identifions des entreprises portées par un avantage compétitif au sein de thèmes de croissance structurelle plus larges qui changent le monde : le commerce en ligne, les technologies du cloud, les outils de diagnostic médical ou des sciences de la vie, les paiements digitaux et l’immuno-oncologie, par exemple.
De mon point de vue, le ratio cours-bénéfices des valeurs individuelles ou des secteurs est une information inutile s’il ne s’accompagne pas d’une très bonne connaissance de leurs fondamentaux. Les deux éléments doivent être considérés simultanément. Nous ne nous préoccupons pas de la valeur de nos positions ; nous détenons des titres parce que nous estimons leurs fondamentaux parfaitement solides et leurs caractéristiques très attrayantes.
Un super cycle sur les matières premières ?
De nombreux commentateurs se répandent sur les ondes en évoquant l’hypothèse que nous en serions aux premiers stades d’un super cycle sur les matières premières, une trajectoire qui rappellerait celle à l’origine de la dernière période de surperformance dans les années 2000-2007. Ce débat a peut-être parfaitement sa place en tant que divertissement télévisé, mais nous pensons que les parallèles qu’ils font sont faux. Selon nous, c’est l’énorme volume des investissements requis pour urbaniser la Chine qui a dopé le marché des matières premières ; or cette vague démographique sans précédent dans l’histoire humaine ne reviendra pas de si tôt, si tant est qu’elle revienne un jour.
Nous pensons plutôt qu’il s’agit d’un cycle de marché qui se déroule à un rythme normal, mais avec des niveaux d’acuité très rarement enregistrés du fait de la crise sanitaire.
Le stade initial des périodes d’expansion est souvent favorable au style « value »
Alors, à quel stade nous trouvons-nous donc dans ce cycle de marché ? Historiquement, en période de récession, dans un environnement de faible croissance bénéficiaire et de taux d’intérêt en baisse sous l’effet des politiques des banques centrales, les actions ont tendance à s’inscrire en hausse. Les multiples de valorisation peuvent se mettre à grimper rapidement sur les actions les plus endettées en perspective de la reprise (telles que les valeurs cycliques affichant des dettes dans leur bilan), le marché regardant au-delà de la faiblesse de l’économie. Ces résultats solides peuvent durer un an ou deux, au fil du cycle de marché, mais, sur l’ensemble de la période, c’est souvent pendant cette phase initiale de croissance des multiples que les actions « value » enregistrent leurs performances les plus attrayantes.
En effet, si vous attendiez le rebond du style « value » à la sortie de la crise sanitaire, celui-ci s’est déjà produit. De nombreux lecteurs seront peut-être surpris d’apprendre, par exemple, que sur les douze derniers mois, l’indice Russell 1000 Value l’a emporté haut la main sur l’indice Russell 1000 Growth1. La forte expansion des multiples de valorisation sur les valeurs cycliques est un phénomène qui remonte au dernier semestre 2020 et au début de l’année 2021 (voir graphique 1).
Source : Bloomberg, 24/06/2021.
A contrario, les valeurs de croissance sont généralement moins appréciées au début de la phase d’expansion. La plupart des entreprises affichant de meilleures perspectives de croissance à long terme se négocient à des prix dans l’ensemble alignés sur la croissance des revenus dans le temps, ce qui est tout à fait pertinent. Toutefois, dernièrement, les investisseurs ont pu de manière opportuniste identifier ailleurs, dans les valeurs cycliques, de meilleures sources de rendement.
Les tendances de croissance structurelle demeurent
Voilà où nous en sommes aujourd’hui. N’en doutez pas ces derniers mois, les mutations structurelles ont continué de faire leur chemin loin des projecteurs du marché ; selon nos anticipations, les investisseurs se montreront sensibles (comme ils l’ont toujours été) à la croissance robuste, orientée à la hausse que ces entreprises peuvent offrir dans un contexte d’essoufflement du rebond cyclique. Les sociétés portées par des moteurs de croissance structurelle génèrent maintenant des résultats en nette progression et elles sont à même de poursuivre sur cette trajectoire pour un moment encore.
Depuis toujours, s’agissant de la valorisation globale, le marché fait en permanence des erreurs. Notre travail est de nous y préparer et de nous attacher à faire preuve de conviction lorsqu’il se trompe, de manière à pouvoir acquérir les meilleures valeurs portées par les tendances de croissance structurelle à des prix intéressants. Les erreurs commises par le marché, comme nous avons pu souvent l’observer en mars 2020 et à nouveau en début d’année, engendrent des opportunités pour les inventeurs de long terme que nous sommes et que, pour beaucoup d’entre vous, vous êtes également.
Les secteurs bénéficiant des ressorts de croissance structurelle évoqués précédemment connaissent des changements uniques à l’échelle d’une génération ; nous pensons que le marché sous-estime toujours la pérennité du potentiel de croissance apporté par les meilleures entreprises opérant dans ces secteurs. Les valorisations demeurent attrayantes. La saison des résultats va s’ouvrir à nouveau dans quelques semaines et nous sommes très satisfaits du potentiel offert par de nombreuses valeurs détenues dans nos portefeuilles.