Procurations et désignations de bénéficiaire dans le cadre de régimes enregistrés
Les personnes adultes sont généralement responsables de leurs propres affaires juridiques, médicales et financières. Il arrive toutefois que l’on doive faire appel à un mandataire, notamment en cas d’incapacité physique ou mentale. Afin de se préparer à ce type d’éventualité, il est courant qu’une personne octroie une procuration à un tiers pour s’assurer que des décisions importantes pourront être prises en son nom, au besoin. Cet article décrit les principes de base en matière de procuration ainsi que les problèmes liés aux désignations de bénéficiaire dans le cadre de régimes enregistrés lorsqu’une procuration est déjà établie.
Une procuration est établie entre deux parties principales :
- Le mandant (parfois appelé le donateur) est la personne au nom de laquelle les décisions seront prises.
- Le mandataire (parfois appelé le donataire) est la personne qui prendra ces décisions en vertu de la procuration (il peut s’agir ou non d’un avocat).
Il existe divers types de procurations, qui peuvent intervenir dans différentes situations. Dans le cadre d’une procuration générale, les pouvoirs du mandataire sont valides seulement tant et aussi longtemps que le mandant est mentalement capable. En vertu d’une procuration perpétuelle ou permanente, le mandataire continue de pouvoir prendre des décisions à la place du mandant si celui-ci devient mentalement incapable (remarque : la procuration perpétuelle n’existe pas au Québec, où c’est plutôt un mandat de protection qui doit être prévu si le mandant devient inapte, ce terme ne référant qu’à l’incapacité mentale). Un autre type de mandat, appelé procuration subordonnée à une condition suspensive, entre en vigueur dès la survenance d’un événement précisé dans la procuration, généralement le moment où le mandant devient incapable (remarque : au Québec, la condition suspensive ne peut pas être l’inaptitude du mandant).
Si la procuration confère au mandataire des pouvoirs importants, ceux-ci ne sont toutefois pas illimités. Par exemple, le mandant peut définir explicitement les affaires faisant l’objet de la procuration, de même que celles qu’il souhaite exclure. Outre le droit du mandant de limiter expressément les pouvoirs du mandataire, c’est la législation provinciale qui régit les pouvoirs juridiques des mandataires. Elle prévoit un cadre strict pour l’octroi d’une procuration et définit la portée des pouvoirs du mandataire. À cet égard, les lois diffèrent d’une province à l’autre.
Limitations générales concernant les dons et les transferts
Bien que les règles varient d’une province à l’autre, les pouvoirs du mandataire sont généralement limités en ce qui a trait aux dons de biens du mandant. Il peut y avoir une limite sur la valeur pécuniaire des dons, de même que des restrictions quant à leur but. Il est également possible qu’il soit défendu de faire des dons que le mandant n’aurait pas été susceptible de faire lui-même. Même si la procuration d’un mandant autorise un don en particulier, il se peut que le mandataire ne puisse pas exécuter cette instruction si elle outrepasse les limites des pouvoirs des mandataires, telles que définies par la législation provinciale applicable. De plus, il est généralement interdit au mandataire de transférer les biens du mandant afin d’en devenir l’unique propriétaire ou le copropriétaire.
Désignations de bénéficiaire
Une disposition testamentaire est un don ou un transfert de biens qui a lieu au décès d’une personne. Bien que ce terme ne soit pas défini dans la législation, il englobe généralement les désignations de bénéficiaire dans le cadre de régimes enregistrés, comme un régime enregistré d’épargne-retraite (REER), un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) ou un compte d’épargne libre d’impôt (CELI). Aucune province n’autorise le mandataire à exécuter des dispositions testamentaires au nom du mandant dans sa législation sur les mandats.
Or, cette limitation pose problème dans diverses circonstances, notamment lorsque le mandant devient mentalement incapable. Dans certains cas, il est possible que le mandant n’ait pas eu connaissance du fait qu’il n’avait jamais désigné de bénéficiaire pour ses régimes enregistrés. Même si le mandataire dispose de preuves montrant que le mandant aurait voulu désigner une personne en particulier comme bénéficiaire de ces régimes, il ne peut procéder à cette désignation. Mentalement incapable, le mandant ne peut pas désigner de bénéficiaire lui non plus. Dans un autre scénario, le mandataire pourrait découvrir que le mandant a, par inadvertance, maintenu la désignation de son ex-conjoint comme bénéficiaire d’un REER. Là encore, le mandataire n’a pas le pouvoir de rectifier la situation; il ne peut pas exclure un bénéficiaire désigné d’un régime enregistré.
Un problème plus fréquent peut aussi se poser à la fin de l’année où le mandant atteint l’âge de 71 ans, soit le moment où le REER du mandant, le cas échéant, doit être liquidé, conformément aux règles fiscales. La plupart des administrateurs de régime convertissent d’emblée le REER en FERR afin d’éviter que le titulaire doive déclarer la juste valeur marchande des produits du REER en tant que revenu, ce qu’il serait tenu de faire si ces fonds lui étaient simplement versés par le régime. Malheureusement, les désignations de bénéficiaire ne s’appliquent pas d’ordinaire au contrat du FERR. C’est habituellement la succession du titulaire qui devient le bénéficiaire par défaut du FERR, sauf indication contraire par le titulaire. Cette situation ne pose généralement pas de problème tant que le titulaire demeure mentalement capable, car celui-ci peut simplement mettre à jour la désignation du bénéficiaire dans le contrat du FERR. Toutefois, en cas d’inaptitude mentale du titulaire, les limitations relatives aux dispositions testamentaires interdisent généralement au mandataire d’intervenir pour désigner le bénéficiaire du REER en tant que bénéficiaire du FERR.
Certaines provinces ont reconnu que cette situation pose d’importants problèmes de planification en cas d’inaptitude et ont tenté d’y remédier dans diverses mesures. Le tableau ci-dessous indique si les mandataires peuvent transférer la désignation de bénéficiaire du REER au FERR, selon la province ou le territoire. Il est à noter que ces règles s’appliquent au transfert de désignations de bénéficiaire vers d’autres régimes semblables, par exemple, d’un compte de retraite immobilisé (CRI) à un fonds de revenu viager (FRV), ou d’un régime d’une institution financière à celui d’une autre. Il est possible qu’un transfert de la désignation de bénéficiaire puisse également être effectué pour les CELI du mandant. Cela dit, ce scénario risque peu de poser problème, car les CELI n’échoient pas.
Province ou territoire | Le mandataire peut-il transférer la désignation de bénéficiaire d'un REER à un FERR? |
---|---|
Alberta | Oui |
Colombie-Britannique | Oui |
Manitoba | Oui |
Nouveau-Brunswick | Oui |
Terre-Neuve-et-Labrador | Non |
Territoires du Nord-Ouest | Non |
Nouvelle-Écosse* | Non |
Nunavut | Non |
Ontario | Non |
Île-du-Prince-Édouard | Non |
Saskatchewan | Non |
Québec | Non (il n'est pas possible de désigner un bénéficiaire au Québec) |
Yukon | Non |
*La Loi sur les procurations (Powers of Attorney Act) de la Nouvelle-Écosse ne confère pas à un fondé de pouvoir agissant en vertu d'une procuration durable le droit automatique de renouveler, de remplacer ou de modifier une désignation de bénéficiaire. Cependant, l'article 18(1)(c) permet au fondé de pouvoir de demander au tribunal l'autorisation de désigner, de modifier ou de révoquer une désignation de bénéficiaire.
À l’heure actuelle, seulement quatre provinces ont promulgué des lois permettant aux mandataires de transférer les désignations de bénéficiaire entre différents régimes : Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba et Nouveau-Brunswick. Or, il ne faut pas oublier que même dans ces quatre provinces, le mandataire ne peut désigner que les bénéficiaires qui étaient désignés dans le régime précédent, immédiatement avant le transfert des fonds au FERR. Si très peu de provinces permettent actuellement ce transfert de désignation, des demandes en ce sens se font entendre ailleurs au pays. En 2013, le Barreau de l’Ontario a demandé au ministère du Procureur général de modifier la législation existante pour permettre cette approche. La Law Reform Commission de la Nouvelle-Écosse a exprimé une opinion similaire en 2015.
Avec le vieillissement de la population canadienne, ces difficultés se présenteront de plus en plus fréquemment. Ainsi, l’espoir renaît quant à la possibilité de voir d’autres provinces et territoires adopter des mesures similaires. Entre- temps, les transferts de fonds vers de nouveaux comptes auxquels les anciennes désignations de bénéficiaire ne s’appliquent pas demeurent un risque qui ne peut être complètement éliminé. Néanmoins, des spécialistes en inaptitude et en planification successorale peuvent atténuer ces risques en surveillant les régimes enregistrés pour s’assurer que le titulaire désigne ses bénéficiaires, dans la mesure du possible, dès la création d’un nouveau régime enregistré.
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